Création artistique et suppléances dans la mélancolie

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German ARCE ROSS. Paris, novembre 2013.

Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Création artistique et suppléances dans la mélancolie », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2013.

Une première version de ce texte a été publié sous le titre « Mélancolie et processus de création », in : Patricia Attigui, sldd, L’Art et le soin. Clinique actuelles – Peinture, sculpture, théâtre, chant, littérature. De Boeck, Bruxelles, 2011, pp. : 41-54.

« Mère avec enfant », art brut, collection Arce Ross

Nous savons que les diverses modalités de la psychopathologie peuvent s’accorder à la science, à la religion et à l’art, soit, respectivement, au savoir, à la vérité et à la création. Dans la mesure où, en général, les inventions scientifiques existent poussées par le besoin humain de maîtriser un bout de réel par un savoir toujours renouvelé, non seulement les conceptions techniques, mais aussi le rationalisme philosophique et l’empirisme intellectuel sont ses plus chers alliés. Ces activités de la pensée peuvent pourtant devenir morbides, et être paradoxalement choisies de préférence dans les cas de la paranoïa ou des psychoses interprétatives comme des tentatives de suppléance, lorsque c’est le pouvoir hypertrophié qui se dégage comme faille essentielle de l’histoire familiale d’un sujet donné. Dans la paranoïa, le rationalisme devient morbide, extrêmement fixé à un segment réduit de la vie et est utilisé comme le seul filtre par lequel le sujet interprète le monde, aussi bien dans le cas du délire aigu que dans celui de la suppléance. La puissance destructrice de l’un et l’efficacité de l’autre tiennent souvent à cette extrême réduction et focalisation dont ils sont l’objet.

De son côté, les religions et les croyances mystiques reposent sur la frêle résistance de l’homme aux conditions de la mort, soit par son incidence totalitaire ou non-dialectique sur les mécanismes du corps vivant, soit par la mort d’autrui, soit encore par l’impossibilité de symboliser la propre mort. C’est ainsi que d’autres psychotiques peuvent effectuer des constructions cosmiques, plus ou moins spirituelles, ardemment mystiques ou clairement sur-naturelles, lorsque, comme dans les schizophrénies et les psychoses hallucinatoires, il s’agit d’un trop de sens accordé à la dissociation, au morcellement, à la déchéance ou à l’identité parcellaire dans la relation du sujet au corps.

En ce qui concerne la création artistique, bien au-delà de toute forme de sublimation et de toute intention esthétique, il s’agit d’approcher, de circonscrire, de situer, de mobiliser et de neutraliser le vécu subjectif d’événements tels que l’absence, le vide affectif, la part manquante, la perte ou l’abandon. Les constructions artistiques ce sont les processus de suppléance préférés des sujets maniaco-dépressifs. Comme si les processus de création plastique, musicale ou littéraire voire philosophique, plus facilement ou plus efficacement que ceux liés aux inventions scientifiques ou aux formations religieuses ou idéologiques, avaient la capacité intrinsèque de véhiculer ou de concrétiser ce qui fait la valeur affective d’un événement. Les traits de pinceau, les formes et les couleurs, les rapports entre figures représentées au premier plan et fond du tableau, les notes et les accords de musique, la combinaison inédite des mots et des récits…, viennent ainsi à la place restée vacante par le reflux ou par l’extrême condensation d’émotions et d’affects en souffrance chez un sujet donné. Si les maniaco-dépressifs en font leur préférence pour la mise en place des suppléances, c’est parce que la création picturale (et parfois musicale ou encore littéraire) mobilise des nouveaux affects venant à la place des affects absents.

On trouvera la suite de ce texte in: La Fuite des événements. Les Angoisses altruistes dans les suicides maniaco-dépressifs.

German ARCE ROSS. Paris, 2011, 2013.