Rubens_Two_Sleeping_Children

« Two Sleeping Children », Peter Paul Rubens, oil on canvas, circa 1612-1613, National Museum of Western Art, Tokyo

German ARCE ROSS. Paris, 2000.

Conférence prononcée au Centre Saint Honoré, Paris, 2000.

Référence bibliographique : ARCE ROSS, German, « Troubles du sommeil chez l’enfant et l’adolescent » [2000], Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2012.

 

La naissance peut être conçue, en termes psychologiques et neurophysiologiques, comme un état de sommeil primaire. Cela dit, il s’agirait d’un type de sommeil dit paradoxal, dans le sens où le bébé, à peine né, s’il dort, ne participe pas moins effectivement, quoique sans conscience, aux événements qui se déroulent autour de lui. On pourrait dire alors qu’on ne naît pas, mais qu’on s’éveille.

Le problème est que certains sujets ne s’éveillent jamais, et continuent à vivre comme s’ils étaient hypnotisés en permanence (autisme) ; d’autres s’éveillent dans un état d’éblouissement hallucinatoire qui les empêche de s’endormir à nouveau (insomnies des états psychotiques) ; d’autres enfin s’y réfugient en construisant des fantasmes proches des rêves et vivent en permanence dans une forme pathologique d’oscillation de veille et de sommeil (névroses).

Dormir est tellement essentiel pour vivre, comme l’est le fait de manger, qu’on pourrait presque dire qu’on vit pour dormir. Mais quelle serait la fonction du sommeil au niveau psychique ? Réparer, restaurer des énergies ? Ou plutôt effectuer une activité psychique différente de celle de l’éveil ? Mais laquelle ?

Dormir est un peu un retour à l’état foetal, là où il n’y a pas de séparation d’avec la mère et où on trouve le calme, la sécurité et la chaleur. Aller dormir, comme le note Freud, implique se dépouiller de tous les éléments matériels et psychiques (vestimentaires, sensoriels, de mémoire, de jugement et de conscience) qui nous tenaient en état d’attention et en contact avec le monde environant. Dormir équivaut, en termes psychiques, à un état de repli sur soi avec un minimum possible de stimulation extérieure. Mais, en même temps, il s’agit d’une grande ouverture qu’on s’offre vis-à-vis du plus intime du monde signifiant et pulsionnel. En effet, dans le sommeil, plus qu’un simple repli intérieur ou narcissique, il s’agit en fait d’un retour à la signifiance pure aussi bien qu’au réel de la pulsion sans, évidemment, le sens du vécu immédiat (ou conscience du vécu). Dormir équivaut alors à une sorte de régression normale à l’état le plus primitif de l’existence, une régression du développement de la libido jusqu’à la phase où on trouve la satisfaction hallucinatoire de désirs (les rêves).1 Cependant, la déconnexion, progressive ou instantanée, d’avec un autre imaginaire qui rassure, ainsi que la confrontation presque directe avec l’Autre du langage et le réel de la pulsion, peuvent provoquer paradoxalement l’émergence d’une angoisse très forte.

L’aspect réel du fantasme peut, pendant le sommeil, émerger librement sans le contrôle de la volonté consciente, pour se connecter, de façon active, avec les flux associatifs du signifiant. Le sujet se trouve, à partir de là, mis en scène dans une activité onirique qui est toujours « égoïste » comme le dit Freud, car dans les rêves le personnage central représente presque toujours le sujet lui-même ou au moins l’une de ses instances psychiques. De par la confrontation directe avec le signifiant et la pulsion, le sujet reste suspendu, ou soumis, aux circuits déterminés par l’enchaînement inconscient, ce qui peut provoquer son évanouissement, c’est-à-dire une forme symbolique de mort.

Non seulement pour l’observateur extérieur mais aussi pour le sujet lui-même, dormir serait également un état proche de la mort. Un état où l’angoisse de mort de soi se manifeste dans toute sa netteté. Si naître équivaut à se réveiller, s’endormir serait une façon de mourir.

 

Architecture du sommeil.

Le phénomène du sommeil fait partie des cycles vitaux organisés en couples qui, comme l’appétit et la satiété, l’appétence sexuelle et sa satisfaction, la rétention et l’expulsion excrémentielles, permettent au sujet d’accéder à une relation dialectique entre deux éléments apparemment antagoniques : la vigilance et le repos sans conscience. Une telle dualité a longtemps guidé les recherches neurologiques, psychiatriques et psychologiques jusqu’aux années 50. Cependant, il faut souligner que ce cycle, loin d’être double pour la psychanalyse, a été conçu, depuis la fin du XIXème siècle, comme comportant trois phases : l’état d’éveil, le sommeil de repos et le sommeil de l’activité onirique.

Concernant l’élucidation du cycle sommeil-veille, la prise en compte de l’importance du rêve, par sa lecture, sa réécriture, sa reconstruction, voire sa déconstruction, est un apport direct de la psychanalyse freudienne qui est, en outre, confirmé par les recherches réalisées par N. Kleitman et collaborateurs aux USA, notamment E. Aserinsky et W. Dement, ainsi que par M. Jouvet en France, à l’aide de l’électroencéphalogramme (EEG).

Désormais, tout l’intérêt du sommeil, ne se trouve plus dans le fait qu’il y a une oscillation cyclique dans un rythme circadien entre l’état de veille et de sommeil, mais qu’il existe une forme particulière et apparemment intermédiaire qui change toutes les données jusqu’alors considérées en termes de simple dualisme. Ce troisième type d’état, différent du sommeil profond et de l’éveil effectif, sera considéré comme une forme de sommeil agité et paradoxal.

L’utilisation de la technique de l’EEG a permis la découverte, par le neuropsychiatre allemand Hans Berger en 1924, des rythmes cérébraux qui ont été à l’origine de la description de phases calmes ou agitées constituant de cycles entiers de sommeil. Les rythmes cérébraux sont constitués par l’accumulation, l’intensité et la fréquence de signaux électrophysiologiques et biochimiques émis par les neurones et enregistrés par l’EEG sous formes d’ondes dont on peut mesurer l’amplitude et la quantité en fonction d’une unité de temps donnée.2 D’autre part, les recherches précitées ont été également permises par des observations antérieures qui avaient constaté empiriquement des phases de sommeil pendant lesquelles il y a une grande fréquence et une intensité considérable de mouvements faciaux et oculaires.

C’est ainsi que, grâce aux travaux pionniers de Kleitman, des chercheurs comme Aserinsky en 1953 et Dement en 1955 ont établit une correlation entre les mouvements rapides des yeux, lors d’une phase de sommeil particulièrement agité, et la production onirique.3 Debru nous dit que « Aserinsky découvrit l’existence d’une organisation périodique de l’activité oculaire de sommeil faisant apparaître un nouveau type de mouvements, les mouvements oculaires rapides, dissociés nettement des mouvements oculaires lents précédemment observés. En réveillant les sujets au cours de ces phases de mouvements oculaires rapides et en les interrogeant sur leurs rêves, il put établir une bonne corrélation avec des souvenirs de rêve. » De son côté, « Dement étudia les aspects électroencéphalographiques, découvrit l’existence d’un pattern particulier de bas voltage avec absence de fuseaux et proposa, avec Kleitman, une nouvelle classification des stades de sommeil […]. L’interrogatoire des sujets montrait que [ce stade de sommeil] correspondait au rêve. Les mouvements oculaires rapides traduiraient l’imagerie visuelle du rêve. »4

 

Les Temps logiques du sommeil.

De notre point de vue, indépendamment de toute expérience avec des moyens de mesure tels que l’EEG, le sommeil peut tout d’abord être conçu comme une suite logique de trois temps, non pas chronologiques mais logiques, clairement distincts et mutuellement articulés : l’endormissement, le sommeil proprement dit et le réveil. Chacun de ces temps possède ses caractères propres par rapport à l’état d’éveil ainsi que par rapport à celui de sommeil ; des influences de l’environnement et des influences psychiques peuvent provoquer des distorsions dans le déroulement normal de chacun de ces temps, ce qui aura diverses conséquences très différentes. C’est dans ce sens que les troubles du sommeil (TDS) ne seront pas les mêmes s’ils procèdent de distorsions dans l’endormissement, dans le sommeil proprement dit ou dans le réveil. Une classification des TDS pourra ainsi être définie en fonction des trois temps logiques du sommeil.

Cependant, avec l’avènement de l’EEG, une autre terminologie sera possible pour décrire, définir et analyser les temps logiques du sommeil. Une architecture du sommeil s’en dégage et c’est alors que des phases telles que sommeil léger, sommeil profond et surtout sommeil paradoxal verra le jour. Le sommeil léger serait en rapport avec le temps de l’endormissement, le sommeil profond pourrait être conçu comme étant le sommeil proprement, tandis que le sommeil paradoxal constituerait un état très particulier qui fait partie du sommeil mais qui frise en même temps le réveil.

Selon la classification proposée par Kleitman, on peut parler, au total, de cinq stades différents. Le Stade I correspond à l’entrée dans le sommeil, c’est-à-dire l’endormissement. Il correspond à un net ralentissement, ainsi qu’à une augmentation de l’amplitude de chaque fréquence, du rythme cérébral enregistré par l’EEG. C’est le moment des mouvements lents des globes oculaires accompagnés par une baisse du tonus musculaire, surtout des muscles de la nuque. Il s’agit d’une phase courte lors de laquelle le sujet peut aussi facilement se réveiller que s’endormir. Le Stade II correspond à un sommeil léger mais lent car si le tonus musculaire n’est pas effacé, il y a un ralentissement des fonctions végétatives telles que la circulation et la respiration. Ici, le réveil est encore facile par toute stimulation sensorielle mais le sujet peut évoluer vers un sommeil plus profond ou vers le sommeil paradoxal. On peut y observer d’ailleurs des très courts réveils qui restent inconscients pour le sujet. Les images hypnagogiques correspondent à des scènes de la vie quotidienne éveillée dont le sujet peut se souvenir, ce qui rend le sommeil instable. Son temps représente la moitié environ du sommeil total. Lors du Stade III et IV le sommeil continue à être lent mais il devient profond, c’est la période qui depuis l’Antiquité a été considérée comme le véritable et unique sommeil. Cette phase de sommeil proprement dit a les vertues de réparer l’état de fatigue, de régénérer et de réhabiliter les fonctions générales. Par ailleurs, ce stade prépare efficacement la survenue de l’activité onirique. Il correspond à des ondes de grande amplitude et très lentes, de l’ordre de deux cycles par seconde. Les ondes du Stade III sont inégales et discontinues, tandis que celles du Stade IV sont plutôt régulières et continues. On observe notamment une accentuation progressive de l’hypotonie musculaire. Finalement, le Stade V correspond au sommeil paradoxal car il est proche de l’état de veille alors que le réveil effectif par stimulation externe est très difficile d’obtenir. Les ondes se présentent sous la forme d’un tracé en dents de scie et avec un très bas voltage. C’est la période où l’on observe une abolition radicale de l’activité musculaire tandis que la circulation et la respiration deviennent irrégulières et surtout que les mouvements des yeux s’emballent. Ce type de sommeil tranche avec le sommeil lent profond qui le précède dans la mesure où il présente une soudaine activité intense et la formation de rêves. Une hypothèse consensuelle soutient que les mouvements rapides des yeux accompagnent les images du rêve, comme si le rêveur les « suivait » des yeux.5

Les conditions pour l’endormissement se trouvent dans un ralentissement de la motilité accompagnée par une diminution de la température corporelle, dans une déconnexion progressive de l’attention et de la pensée consciente volontaire ainsi que dans une diminution de la sensibilité à la stimulation sensorielle extérieure. Dans le cas de l’enfant, l’endormissement répond également à des périodes clefs de transformation de la relation du sujet avec l’Autre. Il y a une première période, de la naissance à trois mois, pendant laquelle l’endormissement est aisé et se trouve lié à la satieté alimentaire et à une sensation de satisfaction générale. Ensuite, il y a une deuxième période, de trois à neuf mois, lors de laquelle l’endormissement devient difficile car les satisfactions se détachent de l’alimentation. Entre neuf mois et trois ans, l’endormissement est beaucoup plus difficile. Cela est dû au fait que la réduction de la motricité et le relâchement du tonus musculaire par exemple sont, à cet âge, beaucoup plus lents. À partir de trois ans, les conditions pour l’endormissement chez l’enfant commencent à se rapprocher de celles de l’adulte (Debré et Doumic, pp. 35-36).

Signalons que, pour pouvoir obtenir un endormissement beaucoup plus sain et efficace, il est important de se doter de moyens adéquats en fonction de l’âge de l’enfant, comme la préférence pour l’allaitement au sein chez le nourrisson, le respect de certains rites et phénomènes transitionnels (Winnicott) tels que la succion du pouce, les doudous, les tétines, les mélodies ou les contes chez le petit enfant, ainsi que la présence rassurante de l’adulte chez l’enfant plus grand.

Le sommeil léger est un stade du sommeil qui, en général, suit immédiatement l’endormissement, mais il peut constituer la presque totalité d’un cycle. Nous avons comme exemples le sommeil rapide de Salvador Dali, les modalités du sommeil chez le dépressif majeur, chez les personnes âgées, les expériences hypnagogiques mystiques ainsi que les expériences extrêmes de sommeil (lors de catastrophes naturelles, de descentes prolongées sous-terre, de cas de jet lag, de sports de l’extrême, ou de rythmes intensifs de combat lors de guerres). Les états somnambuliques pourraient aussi être considérés comme des formes de sommeil léger comportant en outre un risque de danger pour l’enfant (par exemple, des cas de défenestration).

Le sommeil profond constitue l’aspect proprement réparateur de tout le cycle de sommeil. Sa pathologie peut être observé dans les états éthyliques graves, dans les expériences anesthésiques générales, toxiques ou hallucinogènes, et dans les états comateux prolongés. Si le sommeil profond est en règle générale lent et calme, le sommeil paradoxal, de son côté, présente un rythme soutenu et est plutôt agité.

Le réveil est, comme l’endormissement, un aspect également variable selon l’âge de l’enfant, mais plus rapide que ce dernier. Au début, c’est-à-dire jusqu’à trois mois, le réveil, qui est brusque et rapide, se trouve intimement lié à la sensation de faim. Ensuite, entre trois et neuf mois, il commence à se détacher des questions alimentaires, tandis que d’autres éléments extérieurs, tels que la temperature ambiante, les mauvaises postures corporelles ou la gêne de la motilité, deviennent de plus en plus importants. Entre neuf mois et trois ans, l’on constate d’autres facteurs somatiques tels que la modification du tonus musculaire et de facteurs psychiques comme le désir de redevenir actif et autonome.

 

Le Sommeil paradoxal.

Le sommeil paradoxal est le phénomène pivot de tout le processus du sommeil car il condense presque toute la richesse de l’activité onirique, tout en présentant en même temps une gamme étendue de signes extérieurs d’agitation : réactions neurovégétatives et électriques, et mouvements rapides des yeux malgré l’abolition musculaire. Comme nous l’avons vu, les travaux de E. Aserinsky et de W. Dement, élèves de N. Kleitman, ont été à la base de la conception contemporaine du sommeil paradoxal, mais c’est à partir de M. Jouvet que celui-ci est considéré comme un troisième état psychique, aussi différent de l’état de veille que du sommeil proprement dit.

L’expression sommeil paradoxal est due à la proposition de M. Jouvet d’appeler par ce terme, en 1959, l’ensemble de phénomènes observés par électrodes et par EEG, principalement lors des expériences qu’il avait réalisées à Lyon sur la suppression artificielle de cette phase chez le chat. Il constata qu’une telle privation prolongé conduisait à la mort. L’aspect proprement paradoxal de cette phase de sommeil se trouve dans le fait qu’il s’y développe une activité cérébrale intense qui se rapproche de l’état d’éveil, mais qui est accompagnée paradoxalement d’une abolition extrême du tonus musculaire général.6 D’après Houzel, « ce sommeil a reçu le qualificatif de paradoxal, parce qu’alors que le tracé évoque un stade de sommeil léger, il est particulièrement difficile d’éveiller le dormeur, sauf par des stimuli, qui ont une signification affective »7. Si les stades du sommeil calme (endormissement, sommeil léger, sommeil profond) peuvent se présenter aussi pendant les siestes, le sommeil paradoxal, de son côté, n’apparaît que pendant la nuit en rythmant le sommeil et en s’intercalant entre les autres stades.

Selon Jouvet, dès le moment de l’endormissement, les périodes de sommeil paradoxal surviennent environ toutes les 90 minutes et durent en moyenne 20 minutes chez l’adulte. Il faudrait aussi noter que « le pourcentage de sommeil paradoxal dans une nuit est de 50 % à la naissance, 30 % à la fin de la première année, 20 à 25 % chez l’adulte »8. Nous pouvons, en outre, remarquer que « le cycle de sommeil du nouveau-né commence le plus souvent par une période de sommeil agité, contrairement à celui de l’adulte qui entre dans le sommeil par une phase de sommeil calme »9. Par ailleurs, entre 4 et 7 ans, période lors de laquelle la sieste disparaît, l’enfant doit traverser trois ou six heures de sommeil léger et profond avant d’atteindre le sommeil paradoxal. De cette façon, à cet âge, l’enfant a en général besoin de s’endormir beaucoup plus tôt qu’auparavant.10

Dans le sommeil paradoxal, l’activité du signifiant est intense et se rapproche de l’utilisation consciente du langage, tandis que le sujet n’est évidemment pas maître du libre flux de l’association signifiante. Les chaînes signifiantes hyperactives s’imposent à un sujet qui se trouve paradoxalement proche du réveil, voire de l’activité volontaire et consciente.

Il est devenu consensuel de considérer le sommeil paradoxal comme le moment privilégié pour la formation du rêve. Cependant, ce type de sommeil ne doit en aucun cas être confondu avec le rêve. Il le permet ou l’accueille, le provoque ou l’héberge, il est son support neurobiologique ou au contraire un de ses effets ; le point de vue dépend de la perspective étiologique qu’on choisi d’aborder mais, en tout cas, il semble exister une forme de parallélisme entre ces deux types de phénomènes.

 

Troubles du sommeil

Globalement, nous pouvons dire que le sommeil n’est pas seulement un processus physiologique. Pour nous, l’importance des phénomènes expérimentés dans l’ensemble du sommeil, et notamment lors du sommeil paradoxal, se trouve dans le fait qu’il s’agit surtout d’un processus psychique.

Étant donné que l’on constate le plus grand nombre et la plus grande intensité de modifications concernant le sommeil lors de la première année de vie, et que, par la suite, c’est autour de trois ans qu’interviennent à nouveau des changements importants, il faudrait alors classer les troubles du sommeil selon qu’ils se présentent lors de la première année de vie, puis avant et après l’âge de trois ans. Avec la période de la puberté et l’adolescence, où on observe une recrudescence considérable des TDS, nous aurions ainsi au moins quatre catégories différentes. Pour Houzel, « la période de 18 mois à 6 ans est une de celles où les troubles du sommeil sont les plus fréquentes »11.

À la naissance, « dans les premières 24 heures, les deux états de sommeil calme et de sommeil agité sont mal individualisés »12 et on pourrait dire qu’il n’y a pratiquement pas de différence entre l’état d’éveil et le sommeil, c’est-à-dire que le nouveau né dort en permanence. Cela dit après le deuxième jour qui suit la naissance, une différence subtile entre sommeil calme et sommeil agité se laisse percevoir, notamment en ce qui concerne le type de respiration (régulière au début, irrégulière ensuite) et le nombre de mouvements (rares et cadencés au début, plus importants et fluides par la suite). Mais les modifications du sommeil deviennent vraiment considérables à partir des trois mois. À un an, le sommeil de l’enfant commence à ressembler à celui de l’adulte ; toutefois un tel rapprochement n’est que provisoire puisqu’entre quatre et sept ans, l’enfant traversera une période sui generis avant de véritablement stabiliser le rythme, l’amplitude et la fréquence des cycles dans des données proches de celui de l’adulte. Lors de l’adolescence, certains troubles du sommeil de l’enfance, tels que les rêves d’angoisse, les terreurs nocturnes, l’énurésie ou le somnambulisme, peuvent perdurer comme autant des signes d’anciens conflits non résolus.

À part l’aspect chronologique propre à la notion de développement psychique de l’enfant et de l’adolescent, il y a un autre rubrique à prendre en compte pour ordonner les TDS. Il s’agit des temps logiques de l’architecture du sommeil et des stades tels qu’ils ont été conçus à partir de l’utilisation de l’EEG. Ainsi, par exemple, pour Houzel, les TDS du stade II, sont principalement les éveils anxieux et les angoisses qui suivent le réveil ; ceux du stade IV, les terreurs nocturnes ; ceux du stade V, ou sommeil paradoxal, les rêves d’angoisse et les cauchemars (Houzel, pp. 451-453).

 

Troubles de l’endormissement et de l’éveil.

Il y a une analogie très importante entre l’endormissement et le réveil aussi bien dans les processus normaux que dans leurs formes pathologiques, dans le sens où c’est toute la relation du sujet au monde extérieur et, surtout, à son monde intérieur qui sont en cause dans ces formes de troubles du sommeil. La différence étant cependant que l’endormissement est très souvent un processus progressif en direction du sommeil profond, tandis que le réveil peut se produire à partir de n’importe quel stade du sommeil surtout quand l’angoisse est présente et insistante.

Le principal trouble de l’endormissement et de l’éveil est évidemment l’insomnie. Notons qu’un quart des enfants de moins de trois mois qui sont conduits en consultation sont atteints de TDS, notamment l’insomnie, et le sont en général pour cause d’angoisses liés à l’alimentation et forcément à la relation à la mère : angoisse de la faim, angoisse d’abandon, etc. De trois à neuf mois, les TDS sont rares. Tandis qu’entre neuf mois et trois ans, ils redeviennent fréquents. Quelques auteurs affirment que « dans certains cas l’abandon du contrôle conscient met l’enfant en face d’images qui l’impressionnent et l’empêchent de s’abandonner au sommeil » (Debré et Doumic, p. 74). Cela peut s’expliquer, assez souvent, comme une réaction de l’enfant aux états dépressifs et aux troubles du sommeil des parents, et notamment de la mère, aussi bien qu’à l’anxiété de cette dernière : « l’insomnie des parents n’est-elle pas le reflet de leur anxiété personnelle, anxiété perçue par l’enfant et qui est à l’origine de son insomnie ? Une mère insomniaque n’a-t-elle pas vis-à-vis du trouble du sommeil de son enfant une attitude faite à la fois de complaisance et d’irritation, qui ne fait qu’entretenir l’insomnie de son enfant ? »13.

Les hyposomnies d’un seul trait et les hyposomnies à réveil matinal précoce indiquent le plus souvent aussi une résistance phobique à l’activité onirique d’angoisse où foisonnent des images d’abandon, d’anxiété ou d’ambivalence qui constituent des restes de la veille non élaborés psychiquement. Dans ces deux troubles, un processus faible d’endormissement est accompagné d’une défaillance de la progression du sommeil léger ainsi que de l’enclenchement surprenant et anticipé du mécanisme du réveil. Notons que « le sommeil nocturne est, en général, moins bon entre 9 mois et 3 ans que durant les mois précédents. L’enfant est agité, surtout pendant la deuxième partie de la nuit » (Debré et Doumic, p. 77). À cet âge l’endormissement est lent, tandis que le réveil spontané est en règle générale rapide. Chez l’adolescent, le moment de l’endormissement peut s’accompagner du réveil d’angoisses oubliées pendant la journée et du sentiment de culpabilité lié à l’émergence de fantasmes masturbatoires. Tandis que la période du réveil peut être très lente et difficile à obtenir, et dont la lourdeur procure parfois un état de somnolence qui perdure bien après le réveil.

De leur côté, la somnolence artificielle ou somnolence diurne, qui se trouve à mi-chemin entre l’éveil et l’endormissement, la narcolepsie ou catalepsie, un endormissement injustifié, instantané, court et subit, aussi bien que les hypersomnies, peuvent être vécues dans une ambiance de réfuge fantastique contre l’angoisse provoquée par certaines situations critiques de la vie de l’enfant et principalement de l’adolescent. En effet, les hypersomnies sont exceptionnelles chez l’enfant mais représentent les principaux TDS chez l’adolescent. Les hypersomnies sont classées par Houzel selon trois types. En premier lieu, on peut parler de l’hypo-éveil qui est une forme de sommeil long avec un éveil très court, avec une oscillation inconséquente entre la veille et le sommeil léger, et avec une réduction importante de la période de sommeil paradoxal. En deuxième lieu, il y a l’hypersomnie mixte où le sommeil est bien constitué de toutes ses phases et stades mais avec une simple augmentation de sa durée. La narcolepsie du sommeil paradoxal, appelée aussi syndrome de Gelineau, est une forme d’hypersomnie et correspond à une augmentation importante du sommeil paradoxal avec une mauvaise qualité de sommeil et des endormissements directs en sommeil paradoxal. La narcolepsie se présente par des endormissements intempestifs et irrésistibles pendant la journée, par l’abolition brusque du tonus musculaire (catalepsie), par des paralysies du sommeil lors de l’endormissement ou de l’éveil et par des hallucinations hypnagogiques qui précèdent les accès d’endormissement. En troisième lieu, on peut parler du syndrome de Kleine-Lévin, assez rare, qui se manifeste surtout à adolescence par des périodes très longues d’hypersomnie (parfois plusieurs semaines), par une faim exagérée, une instabilité psychique ou sociale et par des états dépressifs et confusionnels (Houzel, p. 461).

Dans les difficultés de l’endormissement, on peut également noter la compulsion au ballancement du corps propre, par laquelle le petit enfant exécute des mouvements rythmiques et répétitifs jusqu’à parvenir à un endormissement qui reste léger et anxieux. Une telle attitude traduirait un conflit inconscient important où des fantasmes d’abandon ou de séparation accompagnent le plus souvent une réelle carence affective. Par ailleurs, les réveils précoces et anxieux (spontanés ou provoqués) marquent la nécessité pour l’enfant d’être rassuré par les parents, le plus souvent à la suite d’une série de rêves d’angoisse. Ils se manifestent le plus souvent après une phase de sommeil paradoxal.

Nous devons également noter tous les autres troubles secondaires qui peuvent accompagner l’endormissement : l’angoisse hypnagogique (sensation d’oppression et d’impossibilité de se mouvoir), le sursaut hypnagogique (violente secousse musculaire qui réveille le sujet), les sensations corporelles hypnagogiques (telles que la sensation de chute, de vol), les illusions hypnagogiques (perceptions déformées d’objets réels), les hallucinations hypnagogiques (visions colorées de formes géométriques, rêveries, imageries complexes), la paralysie hypnagogique (Houzel, p. 458).

Pour combattre les TDS du très jeune enfant, on doit être attentif à la triade mère—enfant—alimentation. À la place d’un régime fixe d’alimentation, l’allaitement au sein ainsi qu’un régime libre, ou à la demande, est préconisé avec emphase car il comporte beaucoup d’efficacité. L’important c’est, d’une part, la relation affective entre la mère et l’enfant et, d’autre part, l’instauration de la dialectique entre le repas et l’appétit. Un repas sans appétit peut avoir des incidences négatives sur la qualité du sommeil, car l’enfant qui n’a pas trouvé une satisfaction orale adéquate sera difficilement, ou ne sera pas, en mesure de trouver satisfaction dans le sommeil. De la même façon, un état de somnomlence artificielle dû, le plus souvent, à des réveils précoces, provoqués ou spontanés, aura des incidences importantes sur la conduite alimentaire et évidemment sur la sensation de satiété nécessaire à l’endormissement. Un circuit fermé, entre trouble du cycle de l’alimentation et trouble du cycle de sommeil, peut se créer. Un repas sans appétit équivaut à un réveil sans vigilance nette, ou à une somnolence sans sommeil, voire à un sommeil non profond.

 

Troubles du sommeil léger.

On ne rêve pas que lors du sommeil paradoxal. Bien que moins fréquemment, les rêves peuvent en effet être aussi produits pendant le sommeil léger. C’est le cas d’ailleurs d’une bonne partie du sommeil chez la personne âgée. Mais il y a aussi des cas de sujets confrontés à des situations critiques (comme les états de choc traumatique, les deuils récents, les situations particulièrement angoissantes de la vie quotidienne qui ne parviennent pourtant pas à empêcher complètement le déroulement du sommeil…) qui, tout en rêvant, possèdent pour un court instant la conscience qu’ils sont en train de rêver. C’est là le phénomène du rêve lucide (LaBerge), dont certains (Saint Denys) ont voulu faire un moyen pour « diriger » la pensée inconsciente.

Les états hypnotiques et le somnambulisme avec ou sans conscience, sont aussi, nous semble-t-il, des troubles du sommeil léger pendant lesquels le sujet se trouve à mi-chemin entre le sommeil profond et le réveil, tout en gardant un réel tonus musculaire ainsi que parfois une motilité importante. Ces troubles sont parfois accompagnés d’abondants phénomènes hallucinatoires hypnagogiques et d’une perception étrangement efficace de l’environnement présent.

 

Troubles du sommeil paradoxal.

Les troubles paroxystiques du sommeil se rencontrent plus fréquemment lors du sommeil paradoxal. Nous pouvons noter les terreurs nocturnes et les rêves d’angoisse dont la plus grande fréquence se situe dans la période entre deux et six ans.

Dans les terreurs nocturnes, dont la plupart surviennent lors du premier cycle du sommeil, il s’agit de crises d’angoisse nocturnes, dès l’âge de 18 mois ou encore avant, où l’enfant se débat de façon confuse contre des visions hallucinatoires. Le réveil est difficile et l’enfant peut inclure les personnes ou les objets de son environnement le plus proche et présent dans le contexte de la vision hallucinée. Après l’épisode, il suit un rapide endormissement et l’entrée dans un sommeil profond (Houzel, p. 446).

Plus fréquents que les épisodes de terreur nocturne, les rêves d’angoisse s’en différencient par une moindre intensité d’angoisse, par un contenu onirique que l’enfant peut raconter, par le déroulement temporel et spatial d’un tel contenu et par l’absence de confusion mentale et d’hallucinations hypnagogiques (Houzel, p. 447). Les rêves d’angoisse possèdent en général de thèmes d’abandon, de perte d’un objet de possession ou de perte de l’amour, de chute.

Si le grincement de dents (ou bruxisme) et la somniloquie se trouvent plus fréquemment lors du sommeil lent profond, le somnambulisme et l’énurésie sont des TDS appartenant à la phase de sommeil paradoxal (agité), notamment lorsque celui-ci survient ou immédiatement avant son début. Dans le somnambulisme, l’enfant se lève, déambule dans sa chambre ou s’assied simplement dans son lit, tout en continuant son sommeil. Il s’agit en quelque sorte, nous semble-t-il, d’une mise en acte de la scène rêvée ou à rêver. Le somnambulisme simple est un trouble plus fréquent lors de la période de la latence, surtout chez les garçons, tandis que le somnambulisme-terreur semble toucher les filles de préférence.

Il est par ailleurs très important de souligner que la privation, spontanée ou artificielle, du sommeil paradoxal — dans les états dépressifs, par exemple — est la principale cause des troubles du sommeil tels que l’anxiété, l’irritabilité et les phénomènes hallucinatoires (Houzel, p. 451). En outre, le sujet perd la possibilité d’élaborer, à un niveau symbolique, les contenus affectifs et le matériel signifiant dont il dispose dans le déroulement de la vie quotidienne. Ceci est à prendre en considération dans les choix de traitement des états dépressifs, dès lors que l’on sait que les antidépresseurs suppriment de façon radicale la production du sommeil paradoxal. Dans le même ordre d’idées, notons que si « c’est l’étude de la veille qui permet de découvrir les causes des troubles du sommeil » (Debré et Doumic, p. 18), c’est bien parce les contenus accumulés dans le vécu qui demeurent à l’état brut, c’est-à-dire qui restent non élaborés ou traduits par l’activité onririque, ou qui se trouvent connectés à des angoisses trop importantes, c’est-à-dire non réduites par un travail psychique adéquat, empêchent au sujet de trouver la paix psychique nécessaire pour le sommeil. Les contenus signifiants à l’état brut, c’est-à-dire non traduits en production onirique, risquent de faire entrer le sujet dans un circuit fermé où on ne peut pas dormir parce qu’on est angoissé et on devient angoissé parce qu’on ne parvient pas à dormir. À la base, il se trouve une inaptitude pour le sommeil paradoxal, voire une inaptitude pour le rêve.

 

Travail et fonction du rêve

La Fonction du rêve

Depuis la fin du XIXème siècle, Freud parvient à connaître, de façon secondaire, une bonne partie des caractères essentiels du sommeil en étudiant le mécanisme, l’économie et la fonction du rêve.

Contrairement à Jouvet qui affirme que le rêve, qui occupe 20% du temps du sommeil et constitue apparemment un réel besoin non élucidé, n’est qu’un phénomène sans aucune fonction connue, nous postulons que le rêve a bien une fonction d’ordre psychique.

Notons que, selon Houzel, les TDS d’ordre paroxystique seraient des échecs de la fonction de liaison du rêve (Houzel, p. 457), de telle façon que l’activité onirique ne parvient pas à cannaliser l’angoisse. Par ailleurs, dans un point de vue assez proche, selon C. Fischer, le rêve a pour fonction de « désomatiser l’angoisse »14 et ainsi de permettre au sujet de la figurer dans une scène imaginaire. À ce propos, d’après Freud, le phénomène onirique procède à une amplification, gigantesque et hypocondriaque, des sensations somatiques, ce qui nous permet de lire dans le contenu du rêve des modifications somatiques qui autrement, à savoir lors de l’état de veille, seraient passées inaperçues. Dans le même sens, nous dirions que dans le rêve il s’agit d’une élaboration symbolique de l’angoisse par l’intermédiaire de son intégration aux vécus inconscients et aux éléments pulsionnels. La fonction de l’activité onirique serait ainsi, d’après nous, de l’ordre de l’élaboration de l’angoisse dans son association avec le flux des idées, c’est-à-dire de l’articulation des traits les plus saillants du vécu avec le système signifiant du psychisme.

Pour Freud, un rêve constitue le signal qu’il y a l’émergence de quelque chose qui perturbe le repos et nous montre la façon par laquelle cet élément a été refusé par la conscience. Lors de l’émergence de cet élément perturbateur, le sujet l’inclut dans un rêve et, au lieu de se réveiller, continue à dormir. En cela, le rêve selon Freud a la fonction de « gardien du sommeil » et constitue une projection vers l’extérieur, ou sur l’écran de la scène onirique, d’un processus intérieur.

C’est ainsi qu’un réveil, plus ou moins brutal, plus ou moins angoissé, pourra se produire dans les cas où le rêve, ou bien, ne parvient tout simplement pas à se former et à se saisir de l’élément perturbateur pour le projeter en l’associant à d’autres contenus symboliques, ou bien, il l’intègre dans la scène onirique mais sans traduire efficacement l’affect (angoisse, culpabilité…) auquel cet élément est connecté. Dans le premier cas, l’EEG montrera une absence, ou une trop courte durée, du tracé correspondant au sommeil paradoxal. Dans le deuxième cas, le rêve formé se convertit en cauchemar, en rêve d’angoisse et le sommeil doit s’interrompre par peur de l’angoisse que les rêves dégagent.

Les éléments perturbateurs sont, généralment, des contenants signifiants qui représentent des restes diurnes comportant des charges affectives non réduites par l’appareil psychique. Ces éléments sont ainsi chargés d’intérêt libidinal, ou affectif, participent du système préconscient et, en s’associant avec les charges pulsionnelles du système inconscient, peuvent facilement avoir la valeur de danger ou de risque pour le sujet. En tout cas, ils sont à la base des conflits inconscients avec le moi idéal ou l’Idéal du moi.

Lors du sommeil, l’association entre le préconscient (les restes diurnes) et l’inconscient (restes de souvenirs refoulés et représentants de la pulsion) est réalisée plus facilement, ce dont la production du rêve témoigne. En d’autres termes, lors du sommeil, les représentants inconscients de la pulsion, qui n’obéissent en aucun cas au désir de dormir du moi, se réveillent et se connectent assez aisément avec les contenus préconscients des restes diurnes. Ces derniers possèdent eux aussi, selon Freud, une résistance qui leur est propre au désir de dormir, notamment dans le cas où ils sont déjà connectés lors de la veille à des représentants inconscients.

La connexion entre restes diurnes préconscients et représentants inconscients constitue ce que Freud appelle désir onirique préconscient, qui, par le matériel des restes diurnes, donne expression à l’impulsion inconsciente. Le désir onirique, n’existant pas lors de la veille, est défini par Freud en tant que « fantaisie réalisatrice de désirs » et doit être distingué des souhaits optatifs, qui sont secondaires.

La satisfaction du désir onirique peut avoir plusieurs destins. La formation d’une idée délirante, lors de l’état de veille, en est le premier. Le deuxième, est une décharge motrice directe pendant le sommeil ; c’est le cas du somnambulisme. Le troisième, c’est la formation du rêve : « le processus qui a pris racine dans le système préconscient, et qui a été intensifié par le système inconscient, prend un chemin régressif à traver le système inconscient en direction de la perception, qui tend à la conscience » (Freud, p. 1084). Dans cette régression, il s’agit du moment topique de la formation du rêve et non plus de son aspect temporel. Elle équivaut à un retour à « la phase de la réalisation hallucinatoire de désirs ». Une telle régression se processe comme suit : les restes diurnes sont convertis en images, visuelles de préférence. L’aspect verbal de ces idées se traduit ainsi en éléments ayant comme vocation la fonction pure de représenter (la pure signifiance). Celles-ci, en se connectant, par l’intermédiaire de la condensation et du déplacement, avec une série de charges de souvenirs inconscients, forment le contenu du rêve. Son matériel est composé par les impressions sensorielles ainsi que par les restes verbaux qui appartiennent au jour précédent, mais il est surtout sélectionné en fonction de sa capacité plastique de représentation.

 

L’Interprétation du rêve.

Une bonne part d’une psychanalyse se fait par l’intermédiaire de l’interprétation des rêves, mais il est important de souligner que le rêve est déjà, en lui même, une interprétation de l’inconscient. Comme le disait Freud, une telle interprétation se réalise de façon « égoïste », ou narcissique, car c’est toujours la seule problématique du sujet lui-même, et non pas celle d’autres personnes, qui est la plus communément mise en scène dans l’activité onirique.15

Par ailleurs, à partir du travail freudien, nous pouvons aussi affirmer que si le phénomène hallucinatoire est une perception consciente sans objet, de son côté, le rêve doit être compris comme la perception sans conscience d’un objet. Des analogies et des différences essentielles existent entre le travail onirique et les phénomènes hallucinatoires de la psychose schizophrénique. Dans cette dernière, le phénomène hallucinatoire s’exerce sur les mots mêmes de l’idée inconsciente, tandis que dans le cas du rêve, au lieu des mots, ce sont plutôt les « représentations objectives auxquelles ils sont réduits » (Freud, p. 1084) qui sont utilisés. En fait, dans cette utilisation, nous devons identifier l’aspect proprement matériel du mot, indépendamment de toute signification présupposée. Il s’agit de l’aspect interprétatif, qui est la conséquence d’un travail de construction “hiéroglyphique” si l’on peut dire, ou de traduction des idées en purs signifiants ; ceci a comme conséquence que, partant de là, « dans le rêve, il n’y a aucun obstacle à la relation entre les charges (préconscientes) des mots et les charges (inconscientes) des objets » (Freud, p. 1085).

De par les multiples liens de connexion, de combinaison ou d’association entre les chaînes signifiantes, l’interprétation onirique produit un effet et hallucinatoire et comique, comme c’est le cas dans le mot d’esprit. Freud montre que les connexions signifiantes à l’oeuvre dans le rêve constituent la base matérielle et la préparation pour le processus de régression topique aux objets. L’intention, ou fin, du processus onirique serait ainsi que les contenus signifiants, de par leur transformation régressive en fantaisies hallucinées et optatives, puissent devenir conscients sous la forme d’une perception sensorielle. N’oublions pas que, tout comme sa réalisation, le désir onirique est halluciné. C’est-à-dire que le rêve, non seulement amène à la conscience des désirs inconscients, mais surtout il les représente réalisés produisant automatiquement chez le sujet une complète certitude sur ce fait.

L’interprétation effectuée par le rêve tente d’aller des signifiants, convertis régressivement en fantaisies optatives hallucinées, vers les restes de souvenirs inconscients des objets et, de ceux-ci, jusqu’à la perception, considérée comme réelle par le rêveur. En d’autres mots, la régression ne va pas forcément vers le contenu des souvenirs inconscients mais principalement vers la perception elle-même, vers la pure fonction de représentation.

Nous devons souligner également que les éléments hallucinés dans le rêve doivent être considérés comme des formes négatives, des blancs ou des trous potentiels dans la perception de la réalité, qui, sans le travail onirique, deviendraient autant de composantes pour la constitution d’une véritable psychopathologie. La « santé mentale » serait ainsi, en quelque sorte, conditionnée ou régulée par le travail du rêve.

 

Notes

1 FREUD, S., « Adición metapsicológica a la teoría de los sueños », Metapsicología, Obras Completas, Volumen I. Editorial Biblioteca Nueva, Madrid, 1948, p. 1081.

2 ETEVENON, P., Du rêve à l’éveil. Bases physiologiques du sommeil. Albin Michel, Paris, 1987.

3 DEBRU, C., « Petite histoire de la biologie onirique », Sciences et avenir, décembre 1996, hors série, p. 96. Cf. aussi, DEBRU, C., Neurophilosophie du rêve. Hermann, Paris, 1990.

4 Ibid., p. 99.

5 MAGNIN, P., Le Sommeil et le rêve. PUF, Collection Que Sais-Je, n° 24, Paris.

6 JOUVET, M., Le Sommeil et le rêve. Odile Jacob, Paris, 1992.

7 HOUZEL, D., « Les Troubles du sommeil de l’enfant et de l’adolescent », in LEBOVICI, S., DIATKINE, et R., SOULE, M., Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. PUF, Paris, 1985, Vol. II, p. 451.

8 Ibid., p. 451.

9 DEBRE, R., et DOUMIC, A., Le Sommeil de l’enfant, p. 21.

10 Ibid., p. 63.

11 HOUZEL, D., « Les Troubles du sommeil de l’enfant et de l’adolescent », op.cit., p. 445.

12  DEBRE, R., et DOUMIC, A., Le Sommeil de l’enfant, op. cit., p. 69.

13 Ibid., p. 173.

14 FISCHER, C., BYRNE, J., EDWARDS, A., et KAHN, E., « A Psychophysiological Study of Nightmares », Journal of American Psychoanalysis Association, 1970, 8, 4, 747-782.

15 FREUD, S., « Adición metapsicológica a la teoría de los sueños », Metapsicología, Obras Completas, op. cit., p. 1082.

 

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