German ARCE ROSS. Paris, le 9 juillet 2014.
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Pourquoi le Brésil a-t-il perdu 7-1 contre l’Allemagne ? », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2014.
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Why did Brazil lose 7-1 to Germany in the 2014 World Cup?
For other reasons than the World Cup, for most of 2013, the Brazilian people finally woke up against what looks like a social-communist dictatorship punctuated by populism, demagogy and high corruption, in the manner of the politics of a Hugo Chavez. This unhealthy and criminal system dates from the two Lula governments during which the biggest corruption scandals broke out in Brazil’s history. And this system continued during the beginning of the presidency of Dilma Rousseff, who was already minister under Lula since 2003.
It is a terrible disappointment to see the Parti des Travailleurs, or Workers Party (PT), the new party we helped to found when I was militating for a Trotskyist group (Liberdade e Luta), being a student of psychology at the University of Sao Paulo has become the machine to maintain, whatever the cost, the power. At the time, we were fiting for freedom of expression, for individual liberties, against military rule, against dictatorship.
The project of the PT, Lula, Dilma and comrades is to install a Bolivarian power in Brazil, that is to say a system of authoritarian power, under a democratic appearance, linked to the other extremely populist and corrupt powers of the region such as Nicolas Maduro in Venezuela and Cristina Kirchner in Argentina.
Shame is not always the channel of expression of moral masochism. The particular case of Brazil’s 2014 seleção shows that shame is an ethical affect. Indeed, shame is one of the possible outcomes, resulting from the affect, for a conflict situation too painful and which requires satisfaction without further delay. It is thus a logical but not rational or voluntary issue, at the limit of the sacrificial. It is an aporia that the subject rejects with all its strength of conviction. An aporia of vexed desire which remained too long waiting for a capital denouement.
Pourquoi le Brésil a-t-il perdu 7-1 contre l’Allemagne ?
Même si c’est l’Angleterre qui a inventé le football, le Brésil a été et reste encore aujourd’hui le meilleur football mondial de tous les temps ! Cinq fois champions du monde, aucun autre pays n’a réussi pareille performance. Il n’est pas seulement efficace mais a surtout développé jusqu’à maintenant, avec grâce et spontanéité, un spectacle terriblement rempli d’esthétique et du plaisir de jouer au drible et aux passes endiablées.
Cependant, ce 8 juillet 2014, alors que le Brésil affrontait l’Allemagne en demi-finales chez lui, avec la grande majorité des supporteurs animant une belle ambiance, il a perdu 7-1, dont 4 buts encaissés en moins de 7 minutes à la première mi-temps. En effet, avant la 26ème minute, le Brésil perdait déjà 5-0 ! Pourquoi ? Comment se fait-il qu’une équipe aussi importante que le Brésil, qui forcément grandit et devient psychologiquement forte lorsqu’elle se rapproche des demi-finales et surtout de la finale, a pu se rendre si facilement ?
Nous savons que l’Allemagne exécute actuellement un excellent football collectif et traverse une période de grande réussite, mais cela ne suffit pas à expliquer tous les buts encaissés si facilement par le Brésil. Indépendamment des mérites de l’Allemagne, je dirais que c’est le Brésil qui a perdu tout seul. Au fond, le Brésil voulait inconsciemment perdre. Pourquoi ?
Le Traumatisme de 1950
Pour répondre, notons d’abord que cette catastrophe nationale nous fait inévitablement évoquer le traumatisme, indépassable jusqu’alors, ayant été vécu par le Brésil lorsqu’il a organisé la Coupe du monde en 1950. Étant parvenu à se hisser en finale, le Brésil rencontre, le 16 juillet 1950, l’équipe d’un petit pays du sud de l’Amérique latine, l’Uruguay. Évidemment, le Brésil part favori. Ils jouent au Maracanã, le plus grand stade du monde, ayant à l’époque une capacité pour 200 mille spectateurs (aujourd’hui, pour se conformer aux paramètres FIFA, elle n’est “que” de 94.000 spectateurs). C’est la fête à Rio, notamment lorsque le Brésil mène 1-0, ce qui est tout à fait normal, vu les circonstances et l’importance des deux équipes. Cependant, pour un caprice du destin, l’Uruguay non seulement parvient à égaliser mais également a renverser le match à la fin du temps réglementaire.
Par ailleurs, nous devons également faire remarquer un sentiment saisissant lors du match de ce soir. L’Allemagne a étrangement joué avec un maillot qui ressemble parfaitement à celui de l’équipe la plus populaire du Brésil, le Flamengo F.C., un maillot qui combine de très larges rayures horizontales rouges et noires. C’était aussi le maillot qui a porté assez longtemps Ronaldinho, excellent joueur brésilien, adepte du jogo bonito et amusant, mais bizarrement écarté, comme Robinho et Kaká, par Felipão Scolari pour la sélection actuelle.
C’est curieux que le grand traumatisme vécu par le Brésil en 1950, et toujours présent dans la mémoire vive du foot brésilien, soit entré en résonance, ce soir, avec le maillot du Flamengo porté étrangement par les Allemands !
Ceci nous amène à supposer légèrement l’existence d’un facteur psychologique que nous devons toutefois affiner et approfondir dans les lignes qui suivent.
Nous postulons que l’équipe du Brésil voulait gagner mais, au fond, désirait inconsciemment perdre. Il s’agit d’un conflit assez classique ayant lieu lors de certains événements intersubjectifs particuliers, comme par exemple chez ces sujets qui ne veulent pas ce qu’ils désirent. Mais, quel aurait été l’élément auxiliaire qui, comme un ouvre-boîtes, ait permis que le désir inconscient de perdre vienne à se libérer malgré la motivation volontaire de vaincre ?
La Vertèbre de Neymar, métonymie du désir de perdre
Nous avons constaté, dans certaines psychopathologies où les conflits restent à l’état de l’indécidable, qu’il faut parfois l’avènement d’un accident, voire d’un incident, pour que cela implose. Lors de ces accidents de la vie, selon Catherine Malabou, par exemple, « le chemin bifurque et un personnage nouveau, sans précédent, cohabite avec l’ancien et finit par prendre toute la place. Un personnage méconnaissable, dont le présent ne provient d’aucun passé, dont le futur n’a pas d’avenir » [1]. Dans ces conditions, le sujet peut devenir étranger à lui-même par l’impossibilité de fuir de ce qu’il est désormais devenu. Du coup, l’un des résultats possibles peut être une fragmentation psychologiquement dangereuse au point de devenir indifférent et anesthésié de son propre vécu. Cela va pour les accidents irrémédiables de la vie mais nous pouvons observer un processus semblable, heureusement passager, dans le cas d’accidents aux effets moindres ou temporaires, voire d’incidents inattendus mais pas graves.
Nous savons que la campagne du Brésil aurait pu s’arrêter bien plus tôt. C’est pour cela que l’argument de la grande qualité de l’équipe allemande ne suffit pas pour expliquer pourquoi le Brésil a perdu de cette manière. Le Brésil aurait pu être sorti par un but manqué du Chili à la dernière minute du match ou par un tir au but réussi. Et, dans ce cas, l’histoire aurait été bien moins dramatique et moins spectaculaire.
À mon avis, c’est l’accident, ou incident, avec Zuñiga (joueur colombien), dont le dur accrochage par le dos a provoqué la fracture d’une vertèbre de Neymar, ainsi que la sanction contre Thiago Silva, qui ont constitué, non pas la cause principale, mais l’élément auxiliaire, la cause secondaire, le facteur déclenchant pour que le désir inconscient de perdre se libère finalement dans l’équipe. Malheureusement, tout le jeu proposé par Scolari reposait sur l’épine dorsale constitué par Neymar et l’axe défense-contre-attaque de David Luiz et Thiago Silva. L’absence dramatique et inattendue de Neymar et Thiago Silva ont rappelé inévitablement les absences incompréhensibles de Ronaldinho, Robinho et Kaká. En outre, ces absences ont aussi apporté un relief très net à l’impuissance de Hulk et à la terrible inhibition de Fred qui, tout au long du Mondial, traînait derrière des ombres inexistantes comme un zombie confus et perdu.
Sans colonne vertébrale, la structure collective du jeu brésilien s’est fracturée en onze différents fragments de motivations individuelles. Sauf que même les plus fortes motivations fragmentées ne peuvent rien face à un inavouable désir collectif de perdre.
Derrière la fascination obscène des 7 buts pris, la vertèbre de Neymar restera à jamais, pour le Brésil, la métonymie irréductible du désir de perdre dans ce Mondial. La vertèbre de Neymar s’est manifestée, comme le corps réagit en protestant à chaque fois qu’un sujet commet des excès ou ne respecte pas les fondements naturels et psychiques de sa vie. La vertèbre de Neymar a dit qu’elle n’était pas d’accord avec Ronaldo lorsque celui-ci avait affirmé que l’ « on ne fait pas une Coupe du monde avec des hôpitaux mais avec des stades » [2]. Alors, prenant le contrepied de ces propos, la vertèbre de Neymar a fait que le Brésil entier quitte le stade pour se diriger, en toute hâte, vers l’hôpital le plus proche où des médecins pouvaient se charger de ce coup du destin dans le dos. Et la leçon de cette histoire est que, pour faire une Coupe du monde, on a besoin avant tout d’hôpitaux. Aussi bien que d’éducation, de sécurité, de stabilité économique, de liberté d’expression et de justice sociale, sans les obstacles de la corruption, des idéologies politiques et du populisme.
Populisme et corruption des gouvernements d’extrême gauche
N’oublions pas également de noter que, dans un tout autre domaine, celui politique, nous avons eu le loisir de percevoir les vicissitudes qui ont conduit les brésiliens à contester l’organisation de la Coupe du monde dans le pays. Les critiques n’ont pas été seulement dirigés contre Joseph Blatter et la FIFA mais également contre Madame le Président Dilma Rousseff. Sauf que les critiques ne se sont pas cantonnées, loin de là, au strict domaine de l’organisation du football mondial au Brésil, d’où le fait que Blatter n’ait pas été vraiment inquiété personnellement, contrairement à Dilma Rousseff laquelle a été même insultée lors du match inaugural aussi bien que dans celui de ce soir.
Pour d’autres raisons que la Coupe du monde, pendant presque toute l’année 2013, le peuple brésilien s’est finalement réveillé contre ce qui ressemble parfaitement à une dictature socialo-communiste, ponctuée de populisme, de démagogie et de haute corruption, à la façon de la politique d’un Hugo Chavez. Ce système malsain et délictueux date des deux gouvernements de Lula pendant lesquels ont éclaté les plus gros scandales de corruption de toute l’histoire du Brésil. Et ce système a continué pendant le début de la présidence de Dilma Rousseff, qui était déjà ministre sous Lula dès 2003.
C’est une terrible déception de voir que le Parti des Travailleurs (PT), ce nouveau parti que nous avons aidé à fonder lorsque je militais pour un groupe trotskiste (Liberdade e Luta), étant étudiant de psychologie à l’Université de Sao Paulo, soit devenu la machine à maintenir, coûte que coûte, le pouvoir. Nous lutions à l’époque pour les libertés d’expression, pour les libertés individuelles, contre le régime militaire, contre la dictature.
Je suis allé plusieurs fois, avec des amis, à la maison de Lula, à Sao Bernardo do Campo, pour des réunions interminables où participaient de très nombreuses personnes, à l’intérieur et à l’extérieur de chez lui. J’ai le souvenir d’un soir, lors d’un meeting politique, où je me suis trouvé sur un camion, au Largo de Pinheiros, à São Paulo, à côté de Lula, en train de lui faire des photos pendant qu’il parlait à la foule. J’ai encore ces photos toutes rouges d’une barbe ouvrière chantant l’espoir d’une société nouvelle, mais dont le flux des mots est devenu désormais un véritable fleuve pollué. Je me souviens des soirées passées dans la belle maison de la député Martha Suplicy, lorsque son fils organisait des fêtes folles et où nous nous amusions aussi comme des fous. Il s’agit d’une famille hyper bourgeoise qui utilisait, de façon opportuniste, les idéaux de socialisme pour mieux assoir son pouvoir en politique. Je me souviens aussi des cours très animés de Marilena Chaui à la Faculté de Philosophie. Mais c’était bien avant ses discours discriminants contre la classe moyenne, bien avant l’extrémisation liberticide de ses propos et son appui idéologique aux gouvernements corrompus du PT.
Tout cela n’est qu’une grande déception sur la capacité de la politique de régénérer par elle seule la société. Les discours politiques ou les actions critiques ne sont pas suffisants. Il nous faut aussi une éthique. Et de la vie qui passe, c’est-à-dire l’expérience des anciens et pas seulement la vitalité des plus jeunes.
Le projet du PT, de Lula, de Dilma et camarades est d’installer un pouvoir bolivarien au Brésil, c’est-à-dire un système de pouvoir autoritaire, sous une apparence démocratique, lié aux autres pouvoirs extrêmement populistes et corrompus de la région tels que celui de Maduro au Vénézuela et celui de Cristina Kirchner en Argentine. Pour cela, ces derniers 15 ans, le Brésil est passé à financer cette politique d’extrême gauche avec le produit des commodities, c’est-à-dire le produit de l’exportation des matières premières brutes au détriment du développement de l’industrie : « O Brasil se tornou, nas últimas décadas, num fantástico exportador de mercadorias agropecuárias, florestais e minerais. E poderá se tornar num grande exportador do petróleo, na dependência do sucesso do pré-sal. Com efeito, as nossas exportações alcançaram de 8,54% do PIB em 2000 a 10,34%, em 2011, enquanto as importações aumentaram de 7,94% do PIB para 12,16%, no mesmo período ». Ceci est visible dans les résultats de la grande désindustrialisation que vit le Brésil aujourd’hui : « há 25 anos, a indústria de transformação brasileira correspondia a 25% do Produto Interno Bruto (PIB). Hoje, ela corresponde a menos de 15%, reduzindo, sensivelmente, a nossa capacidade produtiva. Daí, o tema da “desindustrialização” tornar-se um dos principais assuntos dos economistas e das acentuadas reflexões governamentais. »[3].
Le PT, Lula et Dilma ont instrumentalisé le programme social initié par l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, notamment la Bourse famille, pour manipuler l’opinion publique et acheter indirectement les voix des plus démunis les faisant croire à l’accès illusoire au progrès. Ce qu’ils ont créé, au contraire, ce sont des larges secteurs de la société qui préfèrent être en partie assistés et en partie actifs mais dans une économie à moitié illégale. La trafic de drogue, la délinquance et la criminalité, comme au Vénézuela, ont fini par exploser et dominer le quotidien des gens.
Le côté douloureux de cette affaire du 8 juillet 2014 se cristallise étrangement dans le résultat. Curieusement, la différence finale de 7 buts moins 1 est égal à 6 qui est le nombre d’étoiles convoitées par le Brésil, l’Hexa ! Si en 2013 l’opinion publique s’est finalement réveillée concernant les affaires de corruption et la politique populiste du gouvernement, avec la catastrophe de la Seleção, le gouvernement actuel ne pourra plus instrumentaliser une nouvelle étoile de Champions du monde pour endormir les consciences.
Hontologie lacanienne et critique à Mai 68
Lors de la séance du 17 juin 1970, la dernière du séminaire sur l’Envers de la psychanalyse, Lacan lance aux étudiants d’extrême gauche ayant fait Mai 68 qu’ils sont un peu trop dans la bouffonnerie et pas assez dans la honte. Alors, il imagine un échange entre eux et lui en ces termes.
— Les étudiants d’extrême gauche après Mai 68 : « La honte, quel avantage ? Si c’est ça, l’envers de la psychanalyse, très peu pour nous. »
— Réponse de Lacan : « Vous en avez à revendre. Si vous ne le savez pas encore, faites une tranche, comme on dit. Cet air éventé qui est le vôtre, vous le verrez buter à chaque pas sur une honte de vivre gratinée.
Et il enchaîne par : « C’est ça, ce que découvre la psychanalyse. Avec un peu de sérieux, vous vous apercevrez que cette honte se justifie de ne pas mourir de honte, c’est-à-dire de maintenir de toutes vos forces un discours du maître perverti — c’est le discours universitaire. »
Lacan était vraiment très critique à l’égard du discours universitaire et de Mai 68, n’est-ce pas ?
En effet, il tient à dire que penser en termes de lutte de classes ça relève de la dimension des identifications. Voici ce qu’il dit : « La lutte de classe contient peut-être cette petite source d’erreur au départ, que ça ne se passe absolument pas sur le plan de la vraie dialectique du discours du maître — ça se place sur le plan de l’identification. Senatus Populusque Romanus. Ils sont du même côté. Et tout l’Empire, c’est les autres en plus. »
Et Lacan d’appliquer cette formule de l’identification qui ont les gens qui se sentent « du même côté » aux étudiants. Étant donné qu’eux aussi s’identifient à un groupe, le dit “sous-prolétariat”, différent des autres. « Il s’agit de savoir pourquoi les étudiants se sentent avec les autres en plus. Ils ne semblent pas du tout voir clairement comment en sortir. Je voudrais leur faire remarquer qu’un point essentiel du système est la production — la production de la honte. Cela se traduit — c’est l’impudence. »
Et donc Lacan leur conseille de ne pas aller dans le sens de cette identification aliénante et idéologique : « C’est pour cette raison que ce ne serait peut-être pas un très mauvais moyen que de ne pas aller dans ce sens-là. »
Mais, qu’est-ce que Lacan veut leur dire ?
Qu’il faut bien faire attention à la honte.
Que les étudiants “révolutionnaires” manquent un peu de honte.
Qu’elle se découvre comme envers dans l’analyse, c’est-à-dire comme envers lorsque l’on fait une analyse.
Que par l’analyse de leur bouffonnerie, les étudiants “révolutionnaires” pourraient venir à rencontrer la honte de vivre.
Que cette honte analytique, ou sous transfert, se justifie dans la mesure où ils tentent de maintenir, malgré tout, le discours d’un maître perverti. Lequel ? Celui qui fonctionne dans le discours de l’université, le pervers de la maîtrise.
Morale de l’histoire : faire une révolution contre le Maître vous pousse à ne pas éprouver la honte et à ne pas vous rendre compte qu’en faisant cela vous tombez dans la soumission vis-à-vis d’un autre Maître, un Maître perverti, un Maître universitaire qui vous endort en suçant le lait de la vérité.
Hontologie éthique du manque-à-être
Il me semble ainsi que ce qui a produit le ratage de cette demi-finale du Mondial est un facteur purement psychologique et, tout particulièrement, éthique. Le Brésil a rencontré, dans la vertèbre fracturée de Neymar, une sorte de hontologie éthique de son manque-à-être actuel. Il a eu honte de devenir champion dans ces conditions. Il a préféré la perplexité d’une honte plus banale mais, paradoxalement, plus extrême, plus douloureuse. Comme un homme qui s’arrête devant l’impuissance sexuelle ou devant l’éjaculation précoce plutôt que de perdre l’amour d’une femme. Sauf qu’à la fin, il ne pourra pas tout préserver. Quelque chose devra se défaire pour que la solution au problème finisse par passer. Cet acte de hontologie, dramatique, qui fait pourtant grandir l’homme qui boit de sa tasse, pourrait être, à tort, considéré comme un suicide psychologique. Mais il me semble que, inconsciemment et involontairement, les joueurs brésiliens n’ont pas voulu que leur victoire éventuelle serve comme un nouvel opium au peuple. Et en cela, cet épisode difficile serait au fond positif.
La honte n’est pas toujours le canal d’expression du masochisme moral. Le cas particulier de la seleção brésilienne de 2014 montre que la honte est un affect éthique. En effet, la honte est l’une des issues possibles, issue par l’affect, pour une situation conflictuelle trop pénible et qui exige satisfaction sans plus de délai. Elle est ainsi une issue logique mais non rationnelle ni volontaire, à la limite du sacrificiel. Il s’agit d’une aporie que le sujet récuse de toute sa force de conviction. Une aporie du désir contrarié laquelle restait trop longtemps en attente d’un dénouement capital.
En manque temporaire d’outils raisonnables, le sujet se tourne alors vers l’éthique du manque à être. C’est à ce point d’intersection entre l’aporie du désir contrarié et la puissance du manque à être actuel qu’il trouve l’affect de la honte. Laquelle honte, il la réalisera dans la mise en place inconsciente d’un événement intersubjectif qui laisse des traces indélébiles, sur lesquelles d’ailleurs il se reconstruira. Autrement dit, la honte n’est pas seulement une réaction affective qui paralyse. La honte est aussi et surtout, sous certaines conditions, ce qui produit des idées, des discours, des actes et, plus particulièrement, des événements intersubjectifs inconscients. Car il y a des cas où l’éthique du sujet lui impose une sortie par la honte.
Le faux suicide psychologique et collectif au football serait alors l’une des solutions contre le gouvernement brésilien actuel. Ainsi, une chose négative peut amener au Brésil une autre très positive. Nous pouvons lire alors autrement l’histoire du football au Brésil et dire que si les Brésiliens sont devenus les meilleurs du monde depuis les années 50 à nos jours, c’est bien parce que le Brésil a été traumatisé lorsqu’il a perdu la finale du Mondial, à Rio, contre l’Uruguay en 1950. Sous certaines conditions, l’échec peut effectivement être la source de la réussite.
Je suis sûr que le Brésil, nation fantastique, d’une belle jeunesse et d’une grande vitalité, de saveurs pétillantes et de couleurs sucrées, de savoir-faire incontestable et d’humanité à profusion, saura allègrement dépasser par le haut cet événement difficile et extraire de lui l’énergie nécessaire pour un nouvel ordre et un nouveau progrès.
Notes
1. MALABOU, Catherine, Ontologie de l’accident. Essai sur la plasticité destructrice. Léo Scheer, Paris, 2009, p. 9.
2. Pour Ronaldo, «on ne fait pas de Coupe du monde avec des hôpitaux, mais avec des stades » (« não se faz Copa do Mundo com hospitais, mas sim com estádios ») : http://globotv.globo.com/globocom/globoesportecom/v/ronaldo-nao-se-faz-copa-do-mundo-com-hospitais-mas-sim-com-estadios/3173401/
4. LACAN, Jacques, Le Séminaire, Livre XVII : L’Envers de la psychanalyse, 1969-1970, Texte établi par Jacques-Alain Miller, Seuil, Paris, 1991, pp. 209-223
German ARCE ROSS. Paris, 2014.
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