German ARCE ROSS.

Essai pour la Section clinique, Département de Psychanalyse, Université de Paris VIII, juin 1986.

Référence bibliografique : ARCE ROSS, German, « La Jalousie normale et la jalousie pathologique » [1986], Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2012.

« Au cours d’une villégiature à la campagne, un homme, propriétaire d’une voiture, se mit à faire ouvertement la cour à sa femme. Un jour, il leur proposa une promenade d’une journée environ. R., tout en sachant parfaitement à quoi s’en tenir et malgré sa vive répugnance, acquiesça. Dans la voiture, il s’assit dans un coin, tournant le dos à sa femme assise, elle, tout près de leur hôte. Souffrant d’une atroce jalousie, il s’imaginait qu’ils s’embrassaient, mais n’osait même pas lever les yeux sur eux. Vers midi, ils s’arrêtèrent dans une forêt et allèrent se reposer à l’ombre des arbres. Leur hôte proposa une promenade à pied et le mari, en encourageant sa femme à y aller, préféra rester seul. Pendant les deux heures que dura cette promenade il ne cessa d’être en proie à une vive jalousie, mais ne fît cependant pas un pas pour les rejoindre. » (Cf. « Un Cas de Jalousie Pathologique ». R. Loewenstein, 1932).

La Jalousie normale

Dans toute circonstance où la jalousie s’installe, nous devons déduire d’abord l’existence d’un puissant attachement amoureux initial, permanent, du sujet à l’objet en question : soit celui de la possession supposée, soit celui de la rivalité incriminée. Sans cet affect d’amour, conscient ou inconscient, qu’il ait été inversé en son opposé immédiat, la haine, ou qu’il soit substance directe de la passion imaginaire, on ne pourrait pas comprendre la phénoménologie de la jalousie normale ou pathologique. Ainsi, chez tout sujet prit dans la nébuleuse amoureuse, nous trouvons inversement les effets négatifs et positifs des réactions de jalousie, qui se manifestent quand il se situe dans une situation amoureuse spéciale, à savoir le triangle inter-subjectif. La jalousie se pose ainsi au sujet, même si en essence elle ne l’est pas, comme une réaction aux attitudes du rival réel ou supposé. Cela est considéré comme faisant partie d’une certaine normalité, une normalité pathologique, disons, pour la différencier de la notion de pathologie dans l’analyse et de pathologie avérée. La jalousie serait ainsi un symptôme d’au moins un de ces trois degrés de pathologie. En tout cas, la jalousie fait partie de ce que nous pouvons appeler la folie d’amour.

De cette façon, les éléments que nous voulons souligner dans le phénoménologie de la jalousie sont, tout d’abord, la connexion avec l’amour-passion, ensuite la question de la rivalité primordiale par rapport à la possession de l’objet du désir et finalement la manifestation de cet état dans une forme réactive dans les agissements et pensées du sujet.

Comment pouvons-nous distinguer ce type de jalousie qui se présente comme réaction émotionnelle normale à un événement délicat et difficile, de cet autre type qui se manifeste comme construction délirante dans un système d’intuition d’extrême certitude ? Dans quelle mesure pouvons-nous établir la limite entre normalité et pathologie en ce qui concerne la jalousie ?

Tout d’abord, il nous faut étudier la question de la jalousie normale, un point qui reste assez inexpliqué dans l’oeuvre freudienne où nous voyons le peu d’intérêt qu’elle suscite par rapport à la jalousie pathologique (1). Freud nous dit dans un article de 1922 que  « sur la jalousie normale, l’analyse a très peu à dire » (2).

Des post-freudiens, celles qui se sont le plus préoccupées pour cette question ont été Joan Riviere et Mélanie Klein. Lacan aussi a donné beaucoup d’indications sur ce thème dans sa thèse (3) sauf que très indirectement, puisqu’il était plus préoccupé par démontrer la psychogenèse de la psychose, par fonder sa démonstration sur l’entité morbide qu’il avait isolé, la paranoïa d’autopunition, et par son l’étude de ses connexions avec la jalousie délirante, que d’expliquer vraiment le mécanisme de la jalousie en général. Or, ce qui nous intéresse ici est précisément d’étudier ce mécanisme.

 

Un dualisme post-freudien

Dans  « L’Amour et la Haine. Le Besoin de Réparation », Mélanie Klein et Joan Riviere (4) définissent la jalousie comme une réaction inévitable de haine et d’agressivité par rapport « à une perte ou à la menace d’une perte »(5). Selon ces auteurs, cet état émotionnel réactionnel se présente comme une « humiliation et une infériorisation » ; une « blessure à la confiance de soi et au sentiment de sécurité » ; une « méprise, une dépression, une culpabilité » (voir p. 58 – ouv. cité) ; un sentiment de ne pas être « assez bon » et de ne pas être aimé ; une « solitude » et des « craintes de la solitude » ; un « sentiment d’être exposé à un danger sans pouvoir se défendre » ; voire une « acuité et une amertume torturante » (voir p.59 – ouv. cité).

Pour Klein et Riviere, « la situation typique de la jalousie est naturellement celle de la rivalité en amour » (6) et, surtout, elle est considérée comme dérivant de l’expérience primordiale de la rivalité sexuelle infantile et particulièrement du complexe d’Oedipe. Cependant, elles cherchent une autre explication ailleurs étant donné l’insuffisance et les généralités de tels propos. C’est-à-dire, qu’elles expriment indirectement la déviation et l’éloignement de la trace marquée par l’enseignement strict et rigoureux de Freud. Nous ne voyons pas, sincèrement, la valeur de cet éloignement qui fait plonger ces auteurs (Klein et Riviere) dans un dualisme simpliste et psychologisant. Elles auraient mieux fait de rester dans la voie de la « rivalité » pour analyser la jalousie normale. Néanmoins, ce n’est malheureusement pas celui-ci leur choix.

Toutefois, selon J. Riviere, le rival est ressenti comme « le mal et la destructivité » en personne, et ainsi, le sujet jaloux « décharge la haine à son égard sans éprouver de culpabilité »(7).

La dualité des émotions humaines, dont nous parlons comme étant le trait principal de l’oeuvre de ces psychanalystes kleiniennes, s’éclaire dans la mesure où elles placent, d’un côté, la haine, le désir de possession et l’agressivité, et de l’autre, les forces de l’amour, le sentiment de culpabilité et le besoin de réparation, comme des représentants respectivement mauvais et bons dans les rapports entre le sujet et l’objet. Ainsi va de même pour la question de la possession et la haine, dirigées contre le rival à travers d’un mécanisme de « projection de nos états dangereux de colère et de l’identification à cette personne » (8). En outre, pour elles, l’expérience du mariage et de l’amour véritable où « l’amour de l’autre, ajouté au sien propre, double les réserves d’amour et de bien-être et donc celles d’assurance contre la douleur, la destructivité et la misère interne » (9), seraient les caractéristiques contraires à la défaillance amoureuse qui cause les problèmes de la jalousie.

Pour ces auteurs, le deuxième modèle d’amour, le « véritable », implique une association de la « satisfaction des instincts de vie qui tendent à l’harmonie et à l’unité, et l’accroissement de la sécurité par rapport aux instincts destructeurs et aux dangers qui représentent la perte, la solitude et l’impuissance » (10). Mais quand le mécanisme de projection augmente à des niveaux trop élevés, les sentiments correspondants d’angoisse et de méfiance se transforment en des accès de haine et de crainte, c’est-à-dire, en tendances appartenant au premier modèle d’attachement amoureux, qui « détruiront toute possibilité d’un état de plaisir amoureux et feront entrer à nouveau dans le cercle vicieux du désir de possession, de la frustration et de la désintégration » (11).

Ce dualisme post-freudien, éclairé, post-moderne et intellectuel n’est pas si différent, en substance, de celui d’un mystique du XVIII° siècle, quant aux questions qui touchent à l’amour et à la jalousie. En effet, en 1768, Emmanuel Swedenborg publie à Amsterdam ses Deliciae Sapientias de Amore Conjugiali (traduit par L’Amour vraiment conjugal) (12), où il nous dit ce qui suit : « il est ici traité de la jalousie, parce qu’elle appartient aussi à l’amour conjugal. Mais il y a une jalousie juste et une qui est injuste. Une jalousie juste existe chez les époux qui s’aiment mutuellement, elle est un zèle juste et prudent, pour que leur amour conjugal ne soit pas violé. Mais une jalousie injuste existe chez ceux qui sont soupçonneux par nature, ou dont le mental est malade par suite d’un mauvais fonctionnement du corps. De plus, certains époux, principalement ceux qui s’adonnent à la prostitution, ne peuvent supporter aucune jalousie, même celle qui est juste. Le mot jalousie (zelotypia) est dérivé de “zeli typus” (type de zèle), et il y a un type ou une image de zèle injuste. […] La jalousie peut provenir de diverses maladies du mental. Il y a des jaloux qui pensent continuellement que leurs épouses sont infidèles, et qui les croient des prostituées, pour peu qu’ils les entendent ou les voient parler amicalement à des hommes ou au sujet des hommes. Il y a plusieurs vices du mental qui produisent cette infirmité ; le principal de ces vices est une folle soupçonneuse, qui, si elle est longtemps entretenue, porte le mental dans des sociétés d’esprits semblables, dont il peut difficilement s’arracher. Elle s’affermit aussi dans les corps en viciant le sang. De plus, elle grandit du fait de l’affaiblissement des forces viriles, ce qui ne permet pas au mental de s’élever au-dessus de ses soupçons. En effet, par l’absence de ces forces, le mental s’affaisse, tombe en défaillance et se flétrit. Alors il se plonge de plus en plus dans cette folie jusqu’à tomber dans le délire, et par suite il prend son plaisir dans les reproches, et autant qu’il est permis dans les injures. »

De toute façon, même en partant de ce dualisme créateur d’une impasse théorique, nous pouvons extraire trois points importants pour la compréhension de la jalousie dans ces deux récits :
1. le rapport intrinsèque de l’état jaloux avec l’amour ;
2. la rivalité en connexion avec le désir de possession ;
3. la manifestation de la jalousie comme réaction à des soupçons et des interprétations sur l’infidélité de l’objet aimé.
Cela sans parler de la souffrance réelle de qui éprouve ces sentiments, comme l’a bien classifiée J. Riviere (« humiliation, infériorisation, etc. ». Voir p. 3 de cet essai).

De cette manière, nous devons établir les connexions de la jalousie avec ces trois niveaux : l’amour, la rivalité en connexion avec le désir de possession, et la activité interprétative.

 

La Jalousie et le désir de possession

Selon Freud et Lacan, également en tant qu’idée très répandue chez les post-freudiens, la psychanalyse lance une suspicion sur le narcissisme comme fondement de toute passion imaginaire, qu’elle soit simple ou complexe. Le mécanisme narcissique qui fonde la captivation réciproque dans le mouvement intersubjectif s’explique par la ressemblance des figures vitales de la conscience-écran. Nous savons (13) que la ressemblance imaginaire trouve sa formule dans la tautologie du moi = moi et c’est cela qui donne la portée illusoire aux phénomènes amoureux et jaloux.

Selon Freud, la jalousie, tout comme la paranoïa, a une très grande influence des tendances homosexuelles fortement refoulées ou forcloses et se présente comme une défense du moi contre de telles tendances inconscientes. Mais, qu’est-ce que l’homosexualité refoulée veut dire ? Est-ce que tout homosexuel refoulé ou latent, ayant une structure de personnalité sensitive (Kretschmer) ou psychasthénique (Janet) (14), est un sérieux candidat à la jalousie pathologique, délirante ou non ? Mais, pour quoi ? Est-ce que la défense contre les tendances homosexuelles refoulées, qui essaient de revenir au conscient, explique toute la phénoménologie de la jalousie ?

Prenons d’abord l’homosexualité et le narcissisme, ainsi que la passion normale d’amour pour analyser ce qu’ils ont en commun. Dans la fable de Narcisse  selon Ovide, aussi bien que dans l’observation des comportements homosexuels obscurs ou déclarés, et surtout, d’une façon très nette, dans les phénomènes de la passion amoureuse, la fonction la plus importante dans le choix d’objet, dans sa permanence, son maintien, dans son but et satisfaction, est représenté par le désir de possession.

C’est facile de voir combien d’importance et d’influence ont, dans l’éducation et les valeurs sociales ou culturelles, la recherche et le maintien du patrimoine, d’objets, de fétiches socio-économiques, de réussite, etc.., enfin, nous pouvons voir combien il est important pour la formation d’une conscience morale et sociale (qu’on l’appelle Idéal du moi ou surmoi) la question de la possession.

La possession comme mécanisme de conservation du patrimoine social, culturel, économique, politique, sexuel et même, et surtout, individuel, a une fonction dans la transformation des impulsions égoïstes primitives en tendances à l’assomption d’une évolution vers l’adaptation aux lois préexistantes au sujet. C’est cela qui constitue la normalité quand au sentiment de possession, qui s’alimente de la force du désir en tant que désir de l’Autre et de la force de la jouissance comme située au-delà même de l’objet du désir. Remarquons que chez Stendhal par exemple la possession joue un rôle fondamental dans la naissance de l’amour  : « les perfections augmentent avec les perfections de l’objet aimé, et de l’idée : elle est à moi » (15). Et aussi, de cette manière, l’amour a attrait par la composante de possession-pouvoir qu’elle apporte à l’amoureux. Pour que la cristallisation puisse s’enraciner, ineffable, dans l’édifice sentimental, imaginaire et même dans l’être du sujet, il faut que le pouvoir soit au moins projeté dans l’horizon de l’amour. « Où trouver, en effet, hors de l’amour-passion, hors du jeu, hors de la possession du pouvoir quelque autre source d’intérêt de tous les jours, comparable à celle-là (sur l’amour à querelles), pour la vivacité ? » (16).

En fait, les deux grands plaisirs et désirs de l’être humain sont l’amour… et le pouvoir (ou la possession). Et quand l’homme est amoureux, il lui est impossible de contrôler son pouvoir avec la même rigueur et fraîcheur mentale que s’il ne l’était pas. Au contraire, un homme au pouvoir demeure si responsabilisé et si engagé par ses activités de maîtrise et commande, qui aspirent presque toutes ses énergies viriles et sa raison, qu’il est bien souvent empêché de se réaliser pleinement dans le champ de l’amour. Néanmoins, cette contradiction entre l’amour et le pouvoir trouve sa synthèse dans le mécanisme de la jalousie, à savoir dans l’affirmation de la possession de l’objet aimé contre les menaces de la figure rivale et contre le ravivement des penchants pour la vengeance. Il y a des rapports d’amour, notamment des passions amoureuses, qui débutent par le feu ardent d’une jalousie primordiale incontrôlée et qui n’ont comme autre but qu’une satisfaction des tendances de punition, lesquelles se matérialisent dans l’accomplissement de la vengeance (17).

Alors, ce qui fait noeud entre les désirs d’amour et de pouvoir, c’est le sentiment de possession… et ce qui complète la structure de l’expérience sentimentale primordiale et fondamentale de la phénoménologie inter-subjective, c’est le produit de la jalousie : précisément, un élément hyper-valorisé qui nous posons ici comme faisant partie des objets dits de désir. De cette façon, la jalousie serait ainsi un produit de rapport-de-désir à l’objet.

La jalousie se présente dans la majorité des cas comme une lutte, car nous y trouvons des éléments de rivalité, possession, pouvoir et puissance, mais également de vengeance, tourment et souffrance narcissique, aussi bien qu’une certaine excitation inconsciente des tendances punitives et auto-punitives.

Nous pouvons, de ce fait, définir la jalousie comme le rapport qui existe entre l’affirmation primordiale du désir de possession et la menace de perte de l’objet d’amour à un rival. En suivant Freud (18), nous pouvons dire que la jalousie est une réaction affective inconsciente, où des sentiments de tristesse, souffrance narcissique et agressivité se développent à partir d’interprétations et de soupçons sur l’infidélité, et au fond sur la perte, de l’objet érotique, quand le moi sent menacé la possession de cet objet par l’élément rival. Ainsi, dans la jalousie, le rapport à l’Autre aimé est comme échangé par une relation de rivalité imaginaire concernant l’objet de la possession, ce qui permet l’établissement de la triangularité dans l’amour. Cette transformation a comme pivot la conscience morale qui peut se manifester de la place de l’Autre. Elle est liée à une tendance d’auto-punition refoulée et à une culpabilité pour occuper la place du propre sexe. La méfiance jalouse devient alors une méfiance sur la propre identité sexuelle. Cela veut dire que la supposition de l’Autre infidèle ne provient, au moyen d’une mécanisme de projection et identification, que d’un manque d’affirmation du propre rôle sexuel. La confusion de l’idéal du moi avec le moi idéal, processus qu’on pourrait appeler d’éclipse imaginaire sur le symbolique, est flagrante dans ces états. Et la rivalité narcissique peut se maintenir, par exemple, par le retour dans le réel d’une mère phallique qui est identifiée à l’objet du désir en tant qu’objet de possession.

Le sujet jaloux se croit être le possesseur de l’objet d’amour et, dans ces conditions, n’importe quel autre imaginaire, qui vienne menacer cette possession aussi bien que l’amour narcissique, sera considéré par le moi comme un rival. La triangularité de cet état nous mène à considérer les rapports de celle-ci avec le complexe d’Oedipe. D’autre part, aussi bien l’identification avec l’Autre infidèle que la haine produite contre lui nous renvoient à la question de la castration.

Le sujet jaloux essayerait de ne pas perdre ce qu’il a peut-être déjà perdu, ce qui peut avoir des rapports puissants avec le fantasme. Il fait exister le phallus imaginaire dans le maintien de son désir accroché au désir de possession, comme si l’Autre n’était pas un sujet à l’existence indépendante. La crainte de perdre (19), de ne plus posséder, alimente l’imaginarisation du symbolique, comme on peut le constater dans les phénomènes d’interprétation et de soupçon.

La crainte posée sur le posséder, c’est-à-dire la menace de la possession, fait élever celle-ci à un niveau au-dessus de la jouissance. On inverse la phrase : « posséder n’est rien, c’est jouir qui fait tout ». Et ainsi, l’amour peut facilement devenir « pervers”, c’est-à-dire, dévié de son objectif initial et normal qui est celui de chercher à être aimé. Parce que dans cet état de l’amour, on impose, ou, au moins, on voudrait imposer son désir, par crainte de perdre. A partir de ce moment-là, il y a une jouissance dans les tourments et dans la souffrance narcissique, à savoir cet « extrême malheur empoisonné encore d’un reste d’espérance » (20), comme le souligne Stendhal.

Mais il nous faut également parler d’une face ludique de la jalousie, d’une face où elle répond à un jeu symbolique. Il s’agit du moment où on fait d’elle la monnaie d’échange et de preuve d’amour voire de pouvoir. Dans ce mouvement, la rivalité cesse d’être imaginaire pour devenir le prétexte de l’application d’une loi de désir —qui fait partie, avec plus de netteté, de la psychologie amoureuse féminine— et pour montrer qu’« on ne veut de la jalousie que de ceux dont on pourrait être jalouse, (comme) disait Mme. Coulanges. (…) La jalousie peut plaire aux femmes qui ont de la fierté, comme une manière nouvelle de leur montrer leur pouvoir (aux hommes). La jalousie peut plaire comme une manière nouvelle de prouver l’amour. (…) La jalousie peut plaire comme montrant la bravoure de l’amant » (21). Celle-ci est une face différente de celle de la jalousie de projection, de celle délirante et même de la plus générale forme normale. Dans cette entité, on ne trouve ni mécanismes de défense du moi ni de jeux imaginaires purs, mais plutôt une fonction symbolique dans le maintien du couple régi par les lois du pouvoir dans l’amour, ou par les lois de l’amour dans la puissance.

C’est à cause de cela que dans la jalousie nous sommes inclinés à admettre une fonction d’engagement symbolique, entre autres, pour le maintien de l’union du couple malgré les constantes tentations externes. C’est-à-dire, que le « tu es à moi », le « tu es ma femme », dépend, d’une certaine façon, du risque auquel la jalousie donne lumière, comme pour faire loi : « si je suis jaloux, c’est parce que je t’aime ». La jalousie ainsi ferait alimenter à nouveau la cristallisation amoureuse en montrant les risques, les incertitudes, les « petits doutes », de tout amour heureux.

 

La Jalousie pathologique non délirante

Pour Freud, il y a trois types (22) : la jalousie normale ou de concurrence, la jalousie de projection et la jalousie délirante.

Dans la première partie, nous avons essayé de donner une contribution et un développement aux idées que Freud avait exposées en 1922. Ici, dans cette partie, notre intérêt est centré sur la question de la jalousie de projection. Le deuxième type de jalousie, dite de projection, se trouve, pour Freud, aussi bien dans l’homme que dans la femme et serait d’origine appartenant au désir : « des propres infidélités du sujet ou de l’impulsion, reléguée par le refoulement à l’inconscient, à commettre telles infidélités » (voir p.1030-ouv. cité). Le contenu de cette projection, la projection de la propre infidélité sur la personne aimée, a un caractère « presque délirant ». Ce mécanisme inconscient a comme but le soulagement de la culpabilité, causée par la propre infidélité et l’opposition de la conscience morale (surmoi).

Freud nous dit aussi que « dans le traitement de tels sujets jaloux on doit éviter de contester le matériel sur lequel ils s’appuient, et on peut seulement essayer de modifier leur interprétation du même » (v. p.1031-ouv. cité)

Pour ce qui est du troisième type de jalousie, la délirante, Freud souligne qu’elle aussi s’origine de tendances infidèles rejetées ou forcloses, mais « les objets des fantasmes sont de caractère homosexuel » (v. p.1031-ouv. cité). Et ainsi, elles occupent une place « entre les formes classiques de la paranoïa ».

La formule grammaticale qui représente le thème de la jalousie délirante dans la paranoïa, chez Freud, est posée dans ces termes : « ce n’est pas moi qui l’aime. C’est elle », dénégation qui provient d’une première affirmation insupportable pour la conscience et pour cela rejetée dans l’inconscient : « je (un homme) l’aime (un autre homme) ». (23) Cette dénégation porte sur l’objet rival auquel le sujet est attaché par des tendances érotiques homosexuelles rejetées et qui réapparaissent dans une forme inversée et projetée sur la personne du sexe opposé comme mécanisme d’identification à la supposée et inconsciemment désirée action d’infidélité de cette personne.

Lacan nous a fait noter, dans la remarquable démonstration de sa thèse (24), une composante fondamentale qui donne toute sa valeur compréhensive à ce thème délirant : la tendance auto-punitive dans la personnalité du sujet paranoïaque. Ainsi, la jalousie délirante serait corrélée à une culpabilité tout aussi délirante et à l’imposition auto-punitive, qui sont les produits d’une sur-activité du surmoi. La conscience, par une déformation imaginaire dans le désir, ferait partie du centre d’un mécanisme de défense contre l’homosexualité forclose qui essayerait de revenir sous la forme d’une auto-punition.

Analyse d’un cas
Nous allons présenter un cas traité et exposé en 1932 par R. Loewenstein à la Société Psychanalytique de Paris sous le titre : « Un cas de jalousie pathologique » (25). L’analyse fut interrompue et inachevée mais les problèmes que l’auteur avait trouvé quant au diagnostic et, par ailleurs, la qualité de l’exposé, donnent à ce cas une grande valeur et intérêt.

Loewenstein fait une présentation de ce cas en la divisant en six parties. Dans la première, il nous raconte l’histoire de vie du malade jusqu’au moment du début de l’analyse. Dans la deuxième, il trace les lignes principales de la question du Complexe d’Oedipe. Et dans la troisième, il essaye de donner des explications au problème de l’inachèvement de l’analyse. La quatrième partie est réservée à la question du diagnostic et la cinquième au travail d’interprétation des tendances inconscientes du malade. Enfin, dans la sixième et dernière partie, il nous parle d’un nouveau mécanisme qu’on ne trouve pas selon lui dans la classification de Freud sur la jalousie.

Inachèvement de l’analyse
L’analyse avait duré seulement six semaines, au bout desquelles une interruption avait eu lieu (un voyage de plusieurs mois) qui, au retour, s’était transformée en pur abandon de la cure. Loewenstein considère comme des obstacles à la continuation de l’analyse, le défaut technique de l’analyste de ne pas prendre en compte les résistances du patient contre sa propre guérison, mais aussi la négation de l’analysant à perdre la jouissance qui lui proportionnaient ses perversions sexuelles, surtout au moment où l’analyse menaçait ce genre de satisfaction. Par ailleurs, les tendances auto-destructrices qui permettent une voie à la satisfaction du masochisme moral à travers d’un accrochage du patient à la névrose. Cependant, nous croyons que faire appel à une résistance du malade à l’analyse du vrai noyau pathologique, la perversion sexuelle, et la considération d’un ne-pas-vouloir-guérir comme conséquence d’une satisfaction masochiste, ce sont des problèmes que la cure doit résoudre malgré tout. Au moins pour l’instant, le vrai obstacle à la continuation de la cure, serait ici pour nous plutôt le défaut technique de l’analyste.

L’Histoire de la maladie
Le patient était un écrivain étranger de trente-cinq ans qui supportait à peine une intense souffrance morale. Il avoue être « obsédé par la jalousie à l’égard des anciens amants de son amie. Il la soupçonnait, sans le lui laisser voir, de les avoir aimés plus que lui ou plutôt d’avoir trouvé avec eux plus de satisfactions sexuelles qu’avec lui. Et, chose essentielle, il trouvait parallèlement, dans l’évocation de scènes sexuelles entre son amie et ses amants, une excitation sexuelle extrêmement intense ». Il manifestait des réactions d’une violence extrême qui suivaient des interrogations à son amie sur sa vie amoureuse précédente. Après l’une de ces manifestations, il avait essayé de se suicider.

La naissance de sa soeur a lieu quand il a six ans : « c’est de cette époque que date chez lui d’une part une phobie de grenouilles et de crapauds (…) et d’autres part, une considérable modification du caractère : dès lors, il devient triste et renfermé ». Chez sa famille, de violentes scènes de ménage sont une chose régulière.

A 19 ans il tombe amoureux d’une femme qui était vingt-cinq ans plus âgée que lui, mais il réprime violemment ses désirs. Et il restera chaste jusqu’au jour de son mariage, à vingt-trois ans, après la guerre et après avoir séjourné pendant plusieurs mois dans un asile à cause d’un traumatisme de guerre. Ce traumatisme a deux circonstances liées par un même fond inconscient. Premier épisode : « une nuit, en reconnaissance avec quelques camarades et un caporal, il vit apparaître un soldat allemand. Tous tirèrent, l’allemand tomba. “En voilà un qui ne bandera plus”, dit alors le caporal. Tout à coup, une fusée s’éleva du corps. Il ne put jamais comprendre comment la chose était arrivée. Alors les hommes, tapis dans un trou d’obus, se regardèrent et sous cette lumière verte, ils se virent pareil à des cadavres ». Le malade avait eu très peur et croyait à une vengeance du mort. L’idée de l’avoir tué l’obsédait. « Seul du peloton à savoir un peu d’allemand, ce fut lui qui fouilla le corps, découvrit des lettres de la femme du mort et des photos du couple. Il garda le tout et, revoyant ces lettres et ces photos, il imagina leur vie, et, peu à peu, avec une certaine répugnance d’abord, puis de plus en plus franchement, il se représenta des scènes tendres, puis finalement, leur vie sexuelle. » 

Deuxième épisode : étant très téméraire, surtout après le premier épisode, il se lie d’amitié avec un camarade dont tous savaient qu’il cherchait la mort. Ainsi, un jour, « il sortit de son abri pour établir une liaison et fut blessé à l’abdomen par un éclat d’obus. En tombant, il eut la vision d’un jeune Allemand au torse nu, d’une admirable beauté. Il éprouva alors, dit-il, la plus grande volupté de sa vie. » Dans son mariage, il connaît des problèmes à cause de ses soupçons sur l’infidélité de sa femme. Les satisfactions sexuelles perverses « à nuance sadomasochistes » sont présentes chez le couple, « où le rôle passif lui procure des jouissances particulièrement fortes. Par exemple, quand il est à quatre pattes et qu’elle frotte son clitoris sur son coccyx ». Il essaye de compenser, par des excès sexuels, un sentiment d’infériorité sur la virilité qui ne cesse pas de s’accentuer. En même temps, il commence à être hanté par des représentations et jeux “imaginatifs” sur les rapports sexuels de sa femme avec l’amant précédent. Ses sentiments de jalousie semblaient être accompagnés de souffrance morale et, en même temps, paradoxalement, d’une jouissance auto-punitive.

Il se sépare de sa femme et se lie avec une autre qui « se refusait à certaines satisfactions perverses ». Et en plus, elle exigeait de lui une plus grande attention sexuelle virile. « Mais R. ne renonça naturellement pas aux représentations des rapports sexuels de son amie avec ses amants précédents ; peu à peu il réussit à lui extorquer le nom de ses prédécesseurs dont il fut dès lors furieusement jaloux et qu’il alla épier. »

La violence se fait aussi présente dans son deuxième ménage sous l’influence de la jalousie et de l’alcool. Aussi, il commence à chercher des aventures extra-conjugales, avec des prostituées, avec qui il se montrait « particulièrement puissant ». Il défiait et provoquait sa femme, « en quelque sorte, soit à le quitter, soit à le punir », avec ses infidélités. « Et lorsqu’un jour exaspérée, elle lui lança un objet à la tête, il s’apaisa brusquement. Il en fut réellement satisfait ».

Diagnostic
Dès la première séance, Lowenstein hésite entre deux diagnostics possibles : « une paranoïa à son début ou bien une jalousie pathologique de nature névrotique ». Mais nous pouvons voir, par l’histoire de la maladie, que vraiment on ne peut pas parler de délire dans les symptômes de jalousie du malade, même si on trouve des interprétations tendancieuses qui, d’ailleurs, ne sont pas accompagnées d’une certitude imaginaire.

Le réel problème de ce patient ce sont, non pas les soupçons d’infidélité actuelle de sa femme ou maîtresse, mais une interprétation très personnelle qui a un rapport très étroit avec le fantasme et la satisfaction sexuelle perverse. On peut dire même qu’un élément renforce l’autre pour la constitution de la névrose. Et, ainsi, le diagnostic final serait « une jalousie pathologique de nature névrotique (non délirante) associée à une inhibition et à une perversion sexuelles ».

Interprétation
En premier lieu, il nous faut présenter les traits principaux de ce que Loewenstein appelle la domination du complexe d’Oedipe dans ses deux aspects : l’actif et le passif. Il trouve cette domination : 1. par l’attrait  « que présente pour le sujet, le choix d’une femme ayant déjà eu une vie amoureuse. (…) Il n’avait jamais le droit d’être le premier auprès d’une femme ayant déjà appartenue à un autre ». Et, 2. par la « valeur pathogène » de quelques uns de ses rêves (il nous en expose deux) : ces rêves nous montrent l’angoisse qu’il ressent par rapport à son identité masculine et à ses relations avec la femme.

Selon l’auteur, « la jalousie d’avoir été trompé avec un prédécesseur se traduit par une haine violente, des suspicions, une rancune ». Ainsi, ces deux éléments que nous venons de noter plus haut, et le souvenir-écran de la première enfance de l’analysant, où il voit sa mère brandir des ciseaux dans la direction de son père, conduisent Loewenstein à interpréter « d’une part la rancune du petit garçon envers sa mère infidèle et d’autre part le rôle castrateur de cette mère ».

De cette façon, on peut comprendre ses rapports avec les femmes, dominées par la composante d’agressivité, à partir de la haine de la mère et du rôle castrateur maternel.

Quant aux rapports avec les hommes, en partant des deux expériences fondamentales où le sujet essaye toujours de créer des situation triangulaires qui alimentent le fantasme et « dont la présence est nécessaire pour procurer au malade une excitation et une satisfaction sexuelles des plus fortes », Lowenstein note les traits suivants :
– attrait pour les hommes ;
– ambivalence envers les femmes ;
– homosexualité latente (déduite du choix de situations triangulaires) ;
– rivalité avec la figure masculine, où le rival prédécesseur demeure apte à prendre la place du père ;
– représentations sexuelles avec un caractère auto-punitif masochiste ;
– tendances homosexuelles passives féminines en rapport avec l’infidélité de la femme.

Pour ce qui est de la compréhension de ces dernières tendances, l’analyse permet d’établir « le rôle d’un tournant dans l’évolution de sa sexualité et de son complexe d’Oedipe » qui est la naissance de sa soeur, et d’un jeu inventé à cette époque où « il faisait un lion accouchant de lionceaux, et pour ce faire, il s’accroupissaient comme sur un pot de chambre ». Cela montre, principalement, l’identification à la figure de la mère à partir de la grande déception que celle-ci lui cause par l’infidélité qui signifie avoir eu un autre enfant ainsi que par la jalousie produite par la triangularité entre mère, frère et soeur. La naissance de la soeur du sujet était aussi en relation avec la construction d’une phobie portée sur les crapauds et les grenouilles, dont la signification vient à être mise à jour à partir d’un rêve où il « voyait son amie tenir dans ses bras comme on tient un enfant, un énorme crapaud ». L’élément persécuteur et menaçant du crapaud peut être assimilé à la figure de la soeur, et ainsi, sa phobie « peut donc être considérée comme le reflet de ses souhaits meurtriers envers sa soeur et du remords s’y rattachant ».

De la déception causée par la mère, de la jalousie qui provoque la naissance de la soeur, le sujet produit de la haine et une identification dans la figure maternelle et il cherche à « se substituer à elle dans l’amour pour son père ».

Ce mécanisme compliqué et son produit, la honte d’aimer le père, démontrent à notre auteur les « tendances homosexuelles sous-jacentes, fortement refoulées ». Mais pour Loewenstein le terme d’homosexualité, chez ce patient, veut seulement dire un attachement homosexuel « de caractère oedipien ». C’est-à dire, que « dans son enfance il avait éprouvé un attachement amoureux pour son père, caractérisé par des tendances passives et masochistes féminines, ayant pour objet de se substituer auprès de son père à la femme, sa “mère” ».

Loewenstein pourrait se satisfaire avec cette interprétation, mais il veut pousser encore plus loin la compréhension de ce cas : il essaie de déterminer « les relations de la perversion et de la jalousie », ce que nous considérons aussi comme étant le vrai noyau pathogène. Tout d’abord, il y a pour Loewenstein deux éléments principaux qui déterminent la régression de la libido au complexe d’Oedipe.

Le premier est la « mère castratrice », vis-à-vis de laquelle on peut voir l’ascétisme adolescent s’installer jusqu’à très tard. Il s’agit d’un refoulement très énergique de la pulsion sexuelle, résultat d’une lutte victorieuse contre la masturbation infantile et pubérale. Ce processus serait dû à une barrière très solide opposée à l’inceste et représenté par le rôle de la mère qui, en tant que figure menaçant par la castration, interdit la sexualité. Le problème, c’est que, tout en menaçant et faisant jouer la castration, la mère véhicule la figure d’une femme phallique. C’est-à-dire qu’elle devient un objet plus craint que désiré. Du coup, le désir pour des femmes ultérieures n’est pas libre de conflits inconscients.

Loewenstein donne aussi une très jolie explication de la valeur pathogène traumatisante de la scène du soldat allemand tué en l’associant à ses premières expériences amoureuses, au rôle de la mère dans l’interdiction de l’inceste, comme dans le maintien de cette interdiction, aussi bien qu’à la jalousie éprouvée par le patient à l’égard des enfants de sa première aimée, soldats eux aussi de l’armée allemande. Bref, il y aurait là toute une série d’événements qui doivent avoir produit chez le sujet « un état psychique très particulier », favorable à une discordance structurale. L’auteur suppose, en effet, que « dès le début de sa vie au front il éprouva inconsciemment pour les Allemands qu’il combattait, non seulement de la haine, mais aussi de l’amour ». Facteur qui fait conclure à notre auteur le deuxième élément : l’analysant posséderait un type spécial de jalousie qu’on peut trouver chez certains hommes qui « lorsqu’ils sont jaloux, se mettent à haïr la femme aimée et se prennent de sympathie pour le rival ».

Nous avons vu donc ces deux éléments principaux, à savoir, d’une part, la mère castratrice et, d’autre part, la jalousie que nous pourrons appeler d’inversion, comme déterminants dans le premier grand processus qui maintient solidement liée la libido au conjonctures du complexe d’Oedipe. Maintenant, il nous faut voir le mécanisme du deuxième processus, celui de la formation de la perversion. Or, nous savons que les fantasmes pervers, qui provoquent une excitation et une satisfaction sexuelles, ont un rapport étroit avec les scènes dites « primordiales » où le désir réveillé peut être celui de se mettre à la place de la mère, comme c’est le cas chez ce patient. Désirer se mettre à la place de la mère, constitue le noyau de complexe d’Oedipe passif. En plus, la naissance de la soeur et l’identification avec la figure de la mère, comme conséquence de ce premier événement, comme nous l’avons déjà noté, ce sont deux autres facteurs qui accentuent le caractère passif du complexe d’Oedipe. Et tout ceci contribue encore à renforcer la réaction de R. à toute infidélité commise par la femme qui devient le fait de sympathiser avec le rival, ce qui équivaut à la réaction de son « homosexualité latente ».

Par ailleurs, les tendances de masochisme et de culpabilité sont présentes dans ce circuit pervers. Le masochisme se retrouve, d’un côté, dans la recherche irresponsable de la mort dans la guerre et, d’un autre côté, dans la mesure où la « purification » par la mort correspond à une érotisation. En outre, il y a aussi masochisme dans les pensées hautement coupables et récurrentes qui évoquent sournoisement une responsabilité dans le meurtre du soldat allemand.

Si le premier événement pathogène est le trauma de guerre, le second, marqué du caractère du masochisme, est la soumission à l’abstinence sexuelle imposée par sa fiancée lors de la période qui précède leur mariage, comme aussi bien le thème principal des jeux imaginatifs dans les rapports avec son amie. Ce thème, comme nous le savons, c’est l’idée que les anciens amants de sa maîtresse « disent de lui qu’il recueille les restes de ce qu’ils avaient utilisé et jeté ». C’est comme si l’excitation et la satisfaction sexuelles du patient dépendaient de la moquerie et du mépris des autres hommes. C’est à cet endroit où on peut remarquer la composante de masochisme qui touche, principalement, la question de l’identité sexuelle.

Voyons l’analyse qui fait Loewenstein de la formation de la perversion : « le refus de sa fiancée de se donner à lui avant le mariage, provoque chez R. une forte humiliation, une rage, une jalousie, qui furent entièrement et violemment refoulées et qui causèrent, sans doute, une sorte de retournement des sentiments. La situation imposée par sa fiancée, au lieu de demeurer humiliante et pénible, devint attrayante et excitante ». Ainsi, « il est évident, pour Loewenstein, que le caractère masochiste et les détails des scènes imaginées datent de ses fiançailles et sont déterminées par les circonstances qui les ont accompagnés ».

L’imposition de la fiancée, comme nous l’avons vu, renforce la satisfaction des tendances masochistes et les premiers rapports sexuels réveillent les conflits du complexe d’Oedipe auxquels le patient est très sensible. Ceci se produit par deux voies différentes. D’un côté, un choix d’objet maternel, puisque la vie précédente de sa femme, ayant appartenue à un autre homme, représente inconsciemment la figure de la mère. D’un autre côté, la recherche d’une place faite au père dans le dispositif de la jouissance perverse, où nous pouvons voir l’image de l’amant précédent.

Pour finir, examinons la question de la castration. Elles est minimisée par la satisfaction sexuelle perverse. Néanmoins, la condensation dans laquelle se présente cette perversion a deux éléments opposés : « l’un où le danger justement est écarté ». Cette condensation se construit comme défense à l’angoisse de castration.

La jalousie de ce patient est produite quand la peur de la castration est réveillée par les tendances auto-punitives, qui n’arrivent plus à se satisfaire (rôle de l’amie dans son refus aux satisfactions perverses), et par « les désirs homosexuels et masochistes inassouvis ».

Comme conclusion, Loewenstein nous dit que « l’homosexualité inconsciente insatisfaite de R. est la cause de son comportement bizarre au cours de ses accès de jalousie ».

 

Notes

(1) FREUD, S. « Sobre Algunos Mecanismos Neuroticos en los Celos, La Paranoia y la Homosexualidad » (1922), Ensayos sobre la Vida Sexual y la Teoria de las Neurosis, in : Obras Completas, Vol. I, Editorial Biblioteca Nueva, Madrid, 1948, p.1030. Dans ce texte le principal intérêt de Freud est d’analyser la jalousie par projection et la jalousie délirante.

(2) même articale, p. 1030. (Ouv. cité)

(3) LACAN, J., De la Psychose Paranoiaque dans ses Rapports avec la Personnalité. Le Champ Freudien. Editions du Seuil, Paris, 1975. Sauf peut-être dans la séance du 11 mars 1964 (Séminaire XI) où il parle de l’invidia en tant que réaction du sujet au « donner-à-voir » de l’autre. Mais tout de même, dit Lacan, « il ne faut pas confondre l’invidia avec la jalousie » (p. 106). Ainsi, la véritable envie serait une réaction du sujet devant les images sconiques qui le montreraient la possession de l’objet par l’autre et la satisfaction conséquente de cette possession. La jalousie, au contraire, même si elle se rapporte à la possession de l’objet, ne dépend pas du « donner-à-voir » car elle participe surtout des soupçons, des interprétations, des suspicions, par rapport à la relation entre l’Autre aimé et le rival.
(4) KLEIN, M. et Riviere, J. L’Amour et la Haine. Le Besoin et la Réparation. Etude Psychanalytique. P.B.P., Paris.
(5) KLEIN… Ouv. cité (4) – p. 58.
(6) Ibid. – p. 57.
(7) Ibid. – p. 59.
(8) Ibid. – p. 59.
(9) Ibid. – p. 61.
(10) Ibid. – p. 62.
(11) Ibid. – p. 62.
(12) SWEDENBORG, E., L’Amour Vraiment Conjugal. Cercle Swedenborg. Meudon, 1974, p. 387.
(13) ARCE ROSS, G. « Les Phénomènes de conscience d’un pré-freudien : Hegel et le schéma de l’intersubjectivité d’un post-fredien : Lacan », in : L’Amour post-freudien. Séminaire exposé au Collège International de Philosophie, Paris, février et mars 1986, inédit.
(14) voir Thèse de Lacan (ouv. cité – (3)). Sur le caractère sensitif (Kretschmer) p. 89: sur le caractère Psychasthénique (Janet) p. 133/135 et 333. Pour les deux: p. 212, 217, 243, 327 et 346.
(15) STENDHAL. De l’Amour. Garnier-Flammarion, Paris, 1965, p. 35
(16) Ibid. -p. 139.
(17) Cf. “Médée” in Les Métamorphoses d’Ovide, p. 177. Et “Aulauros, en punition de sa jalousie à l’égard de sa soeur, aimée de Mercure, est métamorphosée par celui-ci en statue” p. 84.
(18) FREUD… Ouv. cité (1).-
(19) Cette crainte de perdre, dans quelques cas, et en répondant à des mécanismes spécifiques, comme la fixation, peut se transformer soit en exarcebation de niveau: une phobie, soit en son opposé dans la forme d’une obsession de posséder, soit encore en une crainte de posséder.
(20) STENDHAL… Ouv. cité – p. 123.
(21) Ibid. -p. 128.
(22) FREUD… ouv. cité (1).-
(23) Cf. FREUD, S. Observaciones Psicoanaliticas sobre un Caso de Paranoia (“Dementia Paranoides”) Autobiograficamente Descrito. In : “Historiales Clinicos”. Obras Completas, Madrid, 1948, II, 661.
(24) LACAN… Ouv. cité (3).
(25) LOEWENSTEIN, R. « Un Cas de Jalousie Pathologique ». Revue Française de Psychanalyse, Vol. 5, p. 554, 1932.

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