German ARCE ROSS, janvier 2016.

Interview accordée à Pauline Iuvchenko, psychanalyste à Kiev (Ukraine), sur les perspectives actuelles de la pratique psychanalytique, le vendredi 29 janvier 2016.

La médiatisation peut-elle être considérée comme un avantage ou comme un facteur de développement de la psychanalyse ?

Lorsqu’on est sollicité à communiquer à travers les médias, comme à la radio, à la TV ou dans la presse écrite, on est bien obligé d’élaborer des exposés très synthétiques, tout en ayant le souci de diminuer au maximum le risque de malentendus. L’avantage est néanmoins le fait de pouvoir transmettre à un large public le savoir en provenance directe de la clinique psychanalytique. Le public a besoin de connaître les principes de la psychanalyse, et celle-ci a également besoin de sortir de l’ombre. À titre d’exemple, l’année dernière, nous avons présenté deux articles dans Le Plus de l’Obs qui, en à peine quelques jours, ont récolté, chacun, plus de 85.000 vues. De quoi remplir le Stade de France à chaque texte ! Et, en octobre 2014, une interview dans Le Point aurait été lue par plus de 460.000 personnes (tirage moyen hebdomadaire du magazine pour ce mois-ci). La médiatisation peut alors équivaloir à une sorte de confrontation sociale ou d’auto-évaluation permanente de la psychanalyse et de son efficacité.

Mais il y a aussi une médiatisation dans l’utilisation quotidienne de moyens de communication non-traditionnels dans le travail analytique lui-même. Il s’agit par exemple de la webcam ou du téléphone, pour les séances à distance, et déjà surtout le portable, notamment les sms, pour la confirmation ou l’échange de rendez-vous, pour des alertes de retard, ou même pour des appels ayant un objectif de réconfort ou de réassurance de certains patients trop angoissés. L’utilisation de médias comme le portable ou la webcam nous permet de moderniser la psychanalyse, aussi bien que de créer des réponses plus adéquates aux nouveaux symptômes et aux nouvelles formes de vie en société.

Compte tenu du fait qu’une ville comme Paris est une véritable plaque tournante pour des gens de passage (pour travail, études, visites professionnelles régulières), nous recevons ainsi, depuis des années, quelques patients, qui ayant souvent une activité professionnelle en alternance avec Paris, continuent leurs séances par webcam ou par téléphone, depuis d’autres villes en France ou depuis quelques pays européens, comme l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, mais aussi  l’Australie, le Brésil, la Chine ou les USA.

Il y aurait beaucoup à dire sur le travail analytique à distance par webcam ou par téléphone, car nous entrons dans une époque où le travail délocalisé se développe de plus en plus. Ainsi, par exemple, j’ai quelques patients qui peuvent travailler 6 ou 8 mois à Paris et le reste du temps dans d’autres pays ou continents. Dans ces cas, l’alternance entre séances au cabinet et séances par webcam s’impose d’elle-même. C’est aussi le cas d’acteurs, de réalisateurs ou de professionnels de la mode qui se trouvent souvent en tournée. Mais il y a aussi le cas de patients résidants à Paris et qui, pour diverses raisons, peuvent bénéficier d’un suivi à distance : personnes à mobilité réduite, séjours en psychiatrie, crises d’agoraphobie, risques suicidaires, difficultés à partir tout seul en vacances, maternité, hospitalisations en général, longues convalescences, délocalisations professionnelles en alternance, stages à l’étranger.

J’ai par exemple suivi pendant 10 mois, par webcam, une jeune patiente partie faire l’avant-dernière année de ses études à Sydney, dont les angoisses, assez anciennes et encore présentes au moment du départ, ne rassuraient pas ses parents restés en France. Nous avons eu une séance hebdomadaire par ce moyen et tout s’est bien passé pour elle en Australie. Une fois rentrée, elle a continué encore son analyse pendant un temps. Pareil pour un jeune psychologue parti, pendant un an, faire une recherche universitaire en Chine et qui ne voulait pas suspendre son analyse. Comme avec eux, à aucun moment, avec aucun des autres patients bénéficiant d’un suivi à distance, il n’y a eu le moindre obstacle ou le moindre problème dû au dispositif ou à cause de la distance géographique. Bien au contraire, il s’est agit à chaque fois d’une initiative fructueuse.

Doit-on toujours commencer par une présence physique avant d’instaurer les médias pour des séances à distance, voire même à longue distance ?

En général, oui. Mais il y a quelques cas où il n’y a pas de présence physique dès le départ, car le patient se trouve dans un continent trop éloigné. Dans ces derniers cas, la webcam prend toute sa valeur de présentation interpersonnelle, au moins tout au début.

Sinon, dans tous les cas, nous devons créer une relative adaptation des séances aux médias, tels que la webcam, selon les phases de l’analyse. Nous avons ainsi toujours au début la caméra avec réciprocité, ensuite on peut passer à une courte période de webcam sans réciprocité, pour nous rapprocher de ce qui serait l’introduction du divan virtuel, et finalement on arrive à une gestion carrément sans caméra. C’est-à-dire que, pour les premiers entretiens, c’est préférable d’avoir la présence physique ou, au moins, c’est important de garder la caméra jusqu’à ce qu’elle devienne de moins en moins importante. Progressivement donc, on reste avec le son de la voix, presque comme si le patient était sur le divan et qu’on ne le voit pas. Cependant, à ce stade, la présence de l’analyste, les signifiants corporels, les objets transitionnels du transfert, l’objet a que l’analyste est censé représenter, seraient marqués par les diverses intonations de sa voix et non pas par des éléments alimentant la pulsion scopique que la caméra pourrait produire.

Le travail analytique à distance, par médiatisation du téléphone ou de la caméra, pose la question de la non-présence des corps et de tout ce qui s’y rattache. Qu’est-ce qu’on peut dire sur les signifiants corporels, sur la respiration, voire sur les données qu’une discipline comme le Yoga par exemple peuvent apporter à la séance analytique ? Y a-t-il un champ commun entre la psychanalyse et les pratiques corporelles et traditionnelles orientales ?

Le corps est de toute façon toujours présent dans le discours analytique. On parle de trous, de contours, de noeuds, d’organes, de sexualité, de jouissance… Comme il y a les phénomènes hystériques de conversion, les phénomènes psychosomatiques, les expression corporelles de l’angoisse, les événements de corps en général, les troubles sexuels, etc.

Nous pouvons traiter de tout cela aujourd’hui en analyse, alors que celle-ci est une élaboration exclusivement psychique et non médicale, ou para-médicale. Par exemple, dans le traitement des troubles du sommeil, il y a une certaine correspondance entre la psychanalyse et les pratiques orientales, comme la méditation : alors que le patient est sur le divan, il peut parvenir à un état très approfondi de relaxation proche de la véritable méditation. Ceci peut indirectement rapprocher la séance analytique des états hypnotiques, états que le patient peut transposer progressivement dans le cycle sommeil-veille pour rétablir, si possible naturellement, une alternance plus adéquate de ces cycles vitaux.

German ARCE ROSS. Paris, février 2016.

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