German ARCE ROSS. Paris, 1991.

Texte publié sous le titre « Les Aveux implicites de Simone Weber », in : Le Figaro, page 2, Paris, le 4 mars 1991.

Simone  Weber est soupçonnée d’avoir tué son ami, Bernard Hettier, d’avoir découpé son corps, puis d’avoir placé  le tronc dans une valise ;  laquelle sera repêchée dans la Marne.  Il n’y a pas une preuve matérielle, définitive et irréfutable, pour une sentence indiscutable mais on trouvera plusieurs signes portant  sur des pièces à conviction, des similitudes qui peuvent difficilement être prises pour de simples coïncidences.

En tant que psychanalyste, j’ai été frappé par un choix tout simple opéré par Simone Weber, et avoué facilement par  elle puisque  apparemment anodin. Il s’agit du nom donné à la voiture du disparu,  « la Bernadette », et du faux nom, « Madame Chevalier », sous lequel le box a été loué.

Il  semble sans importance de chercher à savoir le pourquoi de ces noms, dans une affaire où les choses à analyser ne manquent pas. Mais lorsque quelqu’un se défend, surtout si cette défense s’appuie sur des mensonges ou des omissions essentielles, la vérité émerge par les interstices discursifs le moins contrôlés ; car les moins accusateurs, pense-t-on à tort. La vérité est toujours implicite,  pour ne pas dire refoulée, dans les mensonges. Parce qu’elle est logiquement indispensable pour façonner ces derniers. De cette façon, la vérité, refoulée, censurée, préconsciente ou inconsciente,  utilise les subtilités et les jeux du signifiant, comme la condensation ou le déplacement, pour se satisfaire directement ou indirectement de ce qu’on appelle les formations de l’inconscient, à savoir les rêves, les lapsus, les actes manqués, les mots d’esprit. Et pourquoi pas également de la formation des mots-valises, ou de certains choix poétiques, métaphoriques, ou même de quelques désignations et camouflages nominatifs ou auto-nominatifs. Tout cela, bien entendu, n’aura le statut de formations de l’inconscient que si la condition du refoulement (la nécessité de cacher ou d’oublier quelque chose de pénible, par exemple) est en quelque sorte satisfaite.

Dans le choix du nom de « Madame Chevalier » nous trouvons bien sûr le mot cheval auquel se rajoute le suffixe ier que nous retrouvons dans Hettier, l’autre partie de ce patronyme, Hett, étant phonétiquement présente dans Bernadette (désignation de la voiture). Nous pouvons donc établir la composition probable du nom Chevalier comme ayant la structure d’un mot-valise.

Nous pouvons aussi établir les associations suivantes :

1. le chevalier est un personnage qui dépose son corps sur le tronc d’un cheval.

2. Le mot cheval peut avoir les résonances suivantes : cheval – chevalier – chevalerie – affaire équestre – affaire de séquestre (donc, refus de l’accusation de « séquestrer Bernard », accusation de Mlle Hettier).

3. Dans cheval, il y a aussi val, partie signifiante qui peut provenir du mot valise,  aussi bien  qu’il  peut se référer à la signification géographique de val :  vallée, fleuve…  comme dans Val de Marne. Nous serions tentés de lancer,  en tant que pensée refoulée, la phrase suivante :  le  tronc  (du cheval) dans la valise (le val dans  cheval) dans la Marne (le val de Val de Marne).

4. Le mot cheval peut nous poser beaucoup d’énigmes, mais s’il est supprimé de ces deux appellations posées l’une  après l’autre on peut obtenir la résonance acoustique du nom de la victime : Bernadette (Cheval)ier.

Ainsi, nous pouvons voir que probablement le choix de nomination, réalisé par Simone Weber sur la voiture de la victime et sur sa propre personne, n’était pas gratuit mais répond à la  hâte de voir effacé l’accusation d’avoir « séquestré  Bernard » et de voiler l’idée essentielle, qui doit la tourmenter même dans ses rêves en prison :  ne pas faire savoir que le tronc de Bernard a été séquestré dans une valise jetée dans la Marne.

Ce  n’est peut-être pas par hasard non plus que ce qui serait la preuve du crime, ce morceau tronçonné et marqué d’une signature chirurgicale, a été précipité dans un fleuve : le nom de Hettier a pu aussi évoquer à Simone Weber le sens de l’étier.

German ARCE ROSS. Paris, 1991.

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