German ARCE ROSS, Interview L’Obs, Paris, le 21 janvier 2015.

Dans ma théorie, les facteurs blancs représentent des événements de nuisance (ruptures, pertes, ruines) qui ne s’inscrivent pas avec une véritable valeur de nuisance. Ils dessinent ainsi des espaces vides lesquels fonctionnent pourtant chargés d’un vide de sens. C’est dans ce sens que les facteurs blancs sont chargés d’une négativité radicale.

Le problème est que ces facteurs blancs, des représentants linguistiques vides d’expression et chargés d’une affectivité profondément négative, peuvent graduellement acquérir une importance démesurée dans la construction de la trame de vie. Mais aussi dans le récit de celle-ci, ce qui est, au fond, pratiquement la même chose. Le récit de vie devient alors extrêmement défaillant et il entraîne le sujet dans sa catastrophe affective.

Le délire des négations est cependant une tentative du sujet pour exprimer et pour traiter spontanément ce vide catastrophique en s’appuyant sur des signifiants surévalués, ce que les psychiatres de l’école allemande de la fin du XIXème ont appelé « obervorstellung ». Mais, faute d’un interlocuteur ou d’une adresse valable, le sujet retrouve dans ces signifiants surévalués qui insistent, qui fuient et qui reviennent sans cesse dans la chaîne signifiante, le terrible manque de sens à leur vie et donc à leur mort.

Pour prendre en charge les patients atteints du syndrome de Cotard, il faut s’y prendre à plusieurs. Ils ont, sans aucun doute, besoin d’un suivi psychothérapeutique (de préférence d’orientation psychanalytique) et d’un suivi psychiatrique, mais également d’un soutien extérieur, inter-relationnel et humain, car la relation à l’Autre est primordiale dans le processus de stabilisation et dans la recherche de voies supplétives au délire.

Si les patients cotardisés sont autant emprisonnés dans une spirale de déplaisir, c’est parce qu’ils sont convaincus que tout le monde peut mourir sauf eux. Et, dans les cas les plus extrêmes, cette certitude délirante, dangereusement aspirante de toute possibilité d’espoir et vécue sous le mode de la litanie, peut les pousser au suicide. Vis-à-vis de ce risque, le rôle des proches est donc de leur faire reprendre un minimum de goût à certaines situations simples de la vie par une intense présence à leurs côtés. Mais aussi par la participation à des activités domestiques, culturelles, sociales, artistiques ou de création, jusqu’à ce que leur intérêt puisse être éveillé par une ébauche de projet personnel.

La création sous toutes ses formes, qui permet au sujet d’entrer dans une série successive d’événements supplétifs, peut aussi permettre à ces patients à trouver un socle solide pour se construire un nouage psychique. Certains artistes, qui n’étaient pas apparemment ou directement atteints de ce syndrome mais qui sont passés par une spirale du vide, comme Antonin Artaud ou Vang Gogh, ont su spontanément se stabiliser, au moins pendant un temps, grâce à l’art, à la création. Notre travail avec ces patients est donc de prendre appui et de canaliser ces processus spontanés de suppléance pour les affirmer et les relancer constamment.

Texte et voix : GAR, 2015. Photo : © 2012 German Arce Ross

German ARCE ROSS, Paris, le 21 janvier 2015

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