German ARCE ROSS, Paris, le 10 décembre 2014.

Interview accordée aux étudiants de Master en Journalisme à Sciences Po Paris.

Aujourd’hui, une bonne partie des jeunes de la société occidentale — et c’est vraiment impressionnant ! — est remplie d’alcool, de drogues, d’anorexie-boulimie et d’addictions sexuelles. D’un côté, l’éducation par les punitions et les interdits est devenue presque “pornographique”, alors que, d’un autre côté, la pornographie est non seulement acceptée mais largement banalisée et même valorisée. Beaucoup de patients jeunes et moins jeunes que l’on suit dans nos cabinets de psychanalyse, surtout des hommes, ont été depuis très tôt confrontés à la pornographie, vis-à-vis de laquelle ils ont parfois créé une dépendance dont ils peinent énormément à s’en sortir. Alors que, de leur côté, les jeunes filles traversent des périodes d’addiction aux aliments, à l’amour et, en moindre mesure, également au sexe, selon les cas.

Nous vérifions dans la clinique que la pornographie peut produire des incidences très négatives sur la sexualité. D’une certaine façon, elle s’est substituée, largement et de manière encore plus efficace, au père moralisateur d’une époque, concernant l’objectif de dominer, contrôler, refouler, renverser et dénaturer les pulsions sexuelles. Le résultat est évidemment catastrophique en termes de civilisation. La famille hiérarchisée et généalogiquement ordonnée étant désormais presque déjà morte, on “familialise” paradoxalement les autres relations humaines tout en privilégiant à outrance l’égalitarisme, le communautarisme et le mythe d’une fraternité factice sans des vraies mères ou pères.

Dans les processus de civilisation, non seulement de façon subjective mais aussi dans la société dans son ensemble, nous commençons à percevoir les effets pathologiques qui se trouvent au-delà de ce qu’un Norbert Elias appelait la « barrière de phobies ». En effet, tout en suivant l’idée de Max Weber sur l’auto-contrôle conscient que développe un sujet pour répondre plus ou moins correctement aux exigences du social, Norbert Elias nous parle de la nécessité de cette barrière inconsciente de “phobies” normales. Notamment, il dit que « la régulation plus différenciée et plus prévisible du comportement de l’individu lui est inculquée dès sa plus tendre enfance et qu’elle devient une sorte d’automatisme, d’“auto-contrainte” dont il ne peut se défaire même s’il en formule dans sa conscience le voeu… Chaque individu développe à côté de l’auto-contrôle conscient un mécanisme d’auto-contrôle automatique et aveugle, qui dresse contre toute déviance une barrière de phobies » (Über den Prozess der Zivilisations, II, 1939).

Nous savons que ces “phobies” saines et normales créées par ce système d’auto-contrôle weberien, tel le surmoi freudien, et qui permettent le jeu interactif du lien social, sont le fruit d’une fonction paternelle efficace dès la petite enfance. Ces “phobies” de civilisation seront cependant profondément modifiées et réintégrées symboliquement à la personnalité lors du passage de l’adolescence, et c’est pour cela que la présence et la fonction du père sont très importantes à cet âge. Nous devons souligner que ces “phobies” sont nécessaires dans la mesure où elles constituent des barrières ou des limites claires à ne pas dépasser, ce qui est rassurant et donne des repères efficaces au sujet.

Notons que cette barrière paternelle de phobies normales, si nécessaire au sujet de la civilisation, encadre et modifie les pulsions sexuelles freudiennes les rendant aptes au lien social. Ce processus est beaucoup plus profond et important que la simple éducation et se joue, sans aucun doute, à l’intérieur de la famille, par cet agent symbolique que nous appelons père. C’est en cela d’ailleurs que ce qui est convenu d’appeler du terme de “parents” ne se dilue pas dans la fonction d’“éducateurs”.

German ARCE ROSS, Paris, le 10 décembre 2014

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